09.10.2025

Résistance féministe face à l’effacement des espaces surs et à la répression croissante en Irak

Cet article décrit la résistance féministe et queer en Irak, réduite au silence mais persistante, où les activistes naviguent dans des espaces civiques en rétrécissement, des solidarités fracturées et une répression croissante avec une défiance discrète et une créativité radicale.

Entre 2014 et 2019, le mouvement féministe intersectionnel a connu de grands progrès en Irak et au Kurdistan. Les organisations de la société civile disposaient de l’espace civique nécessaire pour contester les normes conservatrices et défendre les droits des femmes et des personnes queers, malgré les défis sociaux et politiques persistants. Des réseaux se sont formés et des communautés se sont construites. Mais tout a changé avec la montée des voix extrémistes au gouvernement, dont les politiques ont réduit au silence nombre de celles et ceux qui avaient auparavant porté le mouvement.

Leah, une militante queer de Souleimaniye, revient sur l’isolement croissant auquel font face les activistes queers et féministes dans un espace civique en rétrécissement en Irak. « Nous orientions auparavant les personnes LGBTQ+ à risque vers des organisations spécifiques pour obtenir du soutien. Mais au premier signe de pression, non seulement elles nous ont fermé leurs portes ; elles nous ont trahies. »

Dans un pays marqué par la fragmentation sociale et l’instabilité politique, le genre est devenu un point central de contrecoup et de répression, en particulier pour le mouvement politique religieux extrémiste sadriste. Les féministes et activistes queers sont de plus en plus ciblé·es, et l’ancien mot d’ordre fédérateur « Ne laisser personne pour compte » est devenu une phrase creuse. Les réseaux construits sur la solidarité se fracturent sous la pression du gouvernement, laissant beaucoup – en particulier les activistes queers – exclu·es, sans soutien et contraint·es de naviguer seul·es, un terrain hostile.

La campagne anti-genre et le féminisme comme bouc émissaire

Depuis la montée en puissance du mouvement sadriste, les activistes féministes se voient de plus en plus privé·es de lieux pour se rassembler, s’organiser ou s’exprimer. Lorsqu’iels abordent des sujets sensibles ou politiquement chargés tels que les droits queers, iels se retrouvent souvent réduit·es au silence, même au sein de cercles censés défendre les causes féministes.

Sous l’influence du mouvement sadriste, dirigé par Muqtada al-Sadr, la censure des voix féministes est désormais plus marquée que jamais. Les activistes sont réduit·es au silence, accusé.e.s de diffuser du « contenu indécent en ligne », et les espaces civiques sont systématiquement démantelés. La campagne a même approfondi le fossé générationnel au sein du mouvement féministe ; les féministes plus âgées ayant souvent compté sur des approches plus traditionnelles centrées principalement sur les droits des femmes et moins sur les problématiques intersectionnelles, façonnées par le contexte politique dans lequel elles militaient. Pendant ce temps, les jeunes féministes ont adopté une approche plus inclusive, s’appuyant sur la théorie queer et l’intersectionnalité, et travaillant principalement au niveau local. Cela a affaibli la solidarité et contribué à l’érosion des espaces sûrs pour la mobilisation sociale.

Depuis 2021, le gouvernement irakien cible de plus en plus tout ce qui s’écarte des normes traditionnelles de genre, en particulier les identités queers, comme stratégie pour détourner l’attention du public des dysfonctionnements politiques systémiques, de la corruption et de la méfiance publique. Les activistes queers et féministes sont de plus en plus qualifié·es « d’agents étrangers ». Certain·es extrémistes religieux les ont même tenu·es pour responsables de crises allant des catastrophes naturelles à la pandémie du COVID-19.

Entre 2023 et 2025, cette stratégie s’est intensifiée : féminisme et droits queer ont été assimilés au libéralisme occidental et présentés comme des menaces existentielles à l’identité nationale, préparant le terrain à une législation répressive. En 2023, le gouvernement irakien a interdit l’usage du terme « genre » dans les médias, remplacé par l’étiquette criminalisante de « déviance sexuelle ». La campagne a culminé avec l’adoption de la loi anti-LGBT en avril 2024, qui criminalise les actes homosexuels et les identités trans. Cela a été accompagné d’amendements à la Loi relative au statut personnel en janvier 2025, approfondissant l’exclusion légale et sociale des communautés féministes et queer.

Naviguer silencieusement dans les espaces civiques irakiens

Cette vague de lois répressives n’a pas seulement criminalisé des identités. Elle a reconfiguré l’ensemble du terrain civique. Ce qui était autrefois considéré comme des espaces sûrs – lieux de plaidoyer, de soin et de solidarité – a disparu. Les organisations féministes et queers qui apportaient auparavant un soutien direct ou menaient un plaidoyer public ont été placées sous enquête et sous surveillance. Ce changement brutal n’était pas uniquement dû à la pression gouvernementale ; des acteurs clés, y compris des bailleurs de fonds internationaux majeurs, ont également commencé à retirer leur soutien aux initiatives féministes et queers. Pour de nombreux·ses activistes, ce retrait a été ressenti comme une trahison brutale.

Pour les féministes plus âgé.es, qui militaient depuis 2003, cette trahison a entraîné une régression des changements sociaux qu’iels avaient obtenus. Pour les jeunes féministes, elle a confirmé une réalité de longue date : « Nos espaces civiques ont toujours été conditionnels, dangereux et jamais les nôtres », explique Alex, activiste queer.

Aujourd’hui, la peur généralisée de la persécution freine les efforts des organisateur·ices féministes et queers. Il faut contourner des termes comme « genre » et des expressions comme « plaidoyer pour la participation sociopolitique des femmes », tandis que des thèmes tels que les droits queers sont complètement interdits. Les événements sont soumis à la surveillance, et les organisations ne peuvent pas s’enregistrer légalement sans vérifications approfondies des autorités locales. Cette surveillance a forcé de nombreux·ses activistes à passer dans la clandestinité. Ce qui reste sont des espaces privés, souvent secrets, fragiles et isolés.

La répression s’est également étendue aux espaces numériques. De nombreuses organisations de la société civile et activistes se sont tu·es en ligne, à l’exception de celles et ceux qui peuvent utiliser des plateformes cryptées. Les réseaux sociaux sont surveillés, les féministes sont harcelé·es et ridiculisé·es dans des forums, et les activistes identifié·es font l’objet de campagnes de diffamation.

Des féministes irakien·nes dans une infrastructure fragile

Des féministes irakien·nes dans une infrastructure fragile
Ce qui avait pris deux générations à construire en Irak a disparu. Après la chute de la dictature de Saddam Hussein, les acteurs de la société civile et les féministes ont travaillé pour créer quelque chose de longtemps refusé : des droits civils pour les femmes et les personnes marginalisées. Bien qu’il y ait toujours eu des opposant·es, iels avaient réussi à créer des espaces porteurs d’espoir dans un système patriarcal. Au fil du temps, les activistes queer sont devenu·es plus visibles et plus confiant·es, trouvant souvent un soutien discret dans les espaces féministes.

Mais la pression combinée de l’intimidation des milices et des extrémistes religieux, ainsi que des restrictions légales et des attaques publiques de responsables politiques, de 2021 à aujourd’hui, a réussi à supprimer les libertés qui avaient été obtenues. L’« espace sûr » que les féministes plus âgées avaient mis des années à construire a disparu. La nouvelle génération de féministes apprend à avancer sans l’espoir que leurs prédécesseurs avaient autrefois.

Différentes approches, résistance unie

L’érosion de l’espace civique a créé un fossé générationnel. Les féministes plus âgées, souvent professionnellement établies et donc plus contraintes par les préoccupations liées à leur réputation et aux conséquences légales pouvant mettre en péril leur carrière et leur statut, ont tendance à adopter une approche plus prudente et « édulcorée » du plaidoyer. Pendant ce temps, les jeunes féministes continuent d’opérer anonymement à travers des initiatives locales souvent dépourvues de protections légales et d’accès au financement. Cette déconnexion a nourri du ressentiment. Sam, jeune féministe, explique : « Nous les admirions. Nous comprenons qu’iels se protègent, mais iels nous ont laissé·es pour compte. »

Il existe également un décalage entre les approches des différents groupes générationnels. Les jeunes féministes s’appuient souvent sur des méthodes improvisées comme les maisons sûres tournantes, les canaux de financement intraçables et les mentorats discrets. Les féministes plus âgé·es considèrent souvent ces tactiques comme non viables et dangereuses. En retour, les jeunes générations critiquent les féministes plus âgé·es comme étant trop prudent.e.s, gaspilleur·ses et trop soucieux·ses de plaire aux bailleurs de fonds.

Pourtant, de nouvelles formes de solidarité émergent malgré ces tensions. Bien que les deux générations diffèrent dans leurs perspectives, elles s’accordent sur le fait que la réforme gouvernementale ne sert plus leurs intérêts. De plus, cette solidarité découle davantage du respect que de l’accord. Les jeunes féministes se tournent vers les plus âgé·es pour comprendre l’histoire de leurs efforts et les leçons à tirer des réalisations passées, tout en reconnaissant les sacrifices faits par leurs aîné.e.s. De leur côté, les féministes plus âgé·es apprennent de la créativité et du courage des plus jeunes. « Iels tracent une voie différente, et nous observons, écoutons et admirons », dit un.e féministe vétérane de Bagdad. « Iels nous inspirent à continuer malgré la peur. »

La résistance féministe et queer en Irak refuse d’être réduite au silence. La solidarité actuelle n’a pas disparu mais s’est transformée, peut-être pas par de grands gestes mais dans de discrets murmures. Cette solidarité ne pourra être maintenue, dans le contexte actuel d’oppression, qu’à travers un soutien indirect entre activistes, des services de soin discrets pour les membres de la communauté et une approche inclusive du plaidoyer.


Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.

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