Face à la montée croissante des mouvements antiféministes, renforcer l’immunité interne des mouvements féministes apparaît comme le seul moyen de préserver les acquis et d’atteindre de nouvelles réalisations. Cependant, cet objectif ne peut être atteint sans une compréhension approfondie des défis actuels et sans y répondre conformément aux principes féministes célébrant la pluralité et la diversité.
Lors d’une séance publique consacrée aux droits des femmes et à leurs priorités, un défenseur des droits des femmes a commencé son intervention en déclarant : « La femme est l’ennemie de la femme ». Cet homme, juriste reconnu dans sa région, époux d’une militante féministe et directrice d’une organisation féministe, a vu sa déclaration accueillie favorablement par un certain nombre de participant.e.s, donnant l’impression d'une adhésion collective implicite à ce discours.
En réalité, cette expression est utilisée comme un outil par les mouvements anti-droits et plus particulièrement hostiles aux droits des femmes et des personnes aux identités de genre non normatives. Elle vise à miner l’importance des mobilisations collectives, généralisant certaines pratiques individuelles afin d’affaiblir socialement, et de l’intérieur, les luttes féministes. Elle sature ainsi l’inconscient collectif d’idées similaires, facilitant l'attaque et la marginalisation des luttes féministes.
Cependant, la réalité est plus complexe : l’autocritique montre que certaines pratiques internes aux mouvements féministes ou à certaines militant.e.s nourrissent ces accusations. Ainsi, ces problèmes ne peuvent être ignorés ni rejetés sans analyser les contextes complexes générant conflits et tensions internes, empêchant souvent d’atteindre des positions communes et affaiblissant les capacités des mouvements féministes à résister aux discours antiféministes croissants.
Bien que les mouvements antiféministes ne cherchent pas nécessairement à produire un discours unifié, ils convergent autour de quelques idées simples et claires, faciles à assimiler pour tout.e citoyen.ne ordinaire. Par exemple, lors de la campagne « Protection de la famille » menée en Jordanie en 2020, en réponse au projet de loi sur “la protection de la famille contre la violence”, des courants conservateurs, religieux et tribaux aux arrière-plans idéologiques divers ont uni leurs forces autour d’un discours rejetant cette loi sous prétexte qu’elle menaçait la « structure familiale ».
Dans des pays comme le Liban, la Jordanie, l’Irak ou encore la Tunisie, la Convention CEDAW a été rejetée. En Palestine, des campagnes sont apparues sous des slogans tels que « La CEDAW détruit la famille » ou encore « Non à la CEDAW, oui à l’identité ». Ces mouvements adoptent également une position commune dans plusieurs pays comme l’Égypte, le Maroc ou la Tunisie contre l’éducation sexuelle inclusive. Dans tous ces cas, les réseaux sociaux et les symboles religieux servent d’outils de mobilisation efficaces.
En revanche, les mouvements féministes souffrent d'une fragmentation importante, souvent absorbés par des querelles internes plutôt que par la construction de consensus autour des différences. Les débats internes sur la légitimité, les méthodes et les priorités pèsent lourdement. Des divisions subsistent sur des questions comme le voile, les droits sexuels, ou encore l’opposition entre questions nationales et féministes. Malgré l’étendue géographique et sociale de la région, ces mouvements restent généralement confinés à des élites sociales et économiques disposant d’un certain niveau éducatif, loin des femmes qui travaillent dans les maisons, les fermes et les usines. Sans complémentarité des rôles et sans construire des mouvements diversifiés basés sur des principes féministes inclusifs, il sera impossible de contrer efficacement un discours populiste qui s’infiltre aisément dans chaque foyer.
Les normes sociales et les concepts traditionnels de leadership véhiculent souvent une image stéréotypée du rôle dirigeant des femmes, généralement proche d’un modèle autoritaire masculin. Dans plusieurs organisations et mouvements féministes, certaines femmes adoptent ce modèle afin de convaincre la société de leur légitimité en tant que dirigeantes. Toutefois, face à l’intensification des mobilisations féministes et à une prise de conscience accrue de la nécessité de rejeter les modèles autoritaires patriarcaux, les voix critiques s’élèvent, notamment parmi les jeunes générations, pour rejeter ce modèle incompatible avec les principes féministes.
L’absence de mécanismes de responsabilisation féministes fondés sur la compréhension mutuelle des perspectives différentes affaiblit les capacités à traiter les divergences de façon constructive. Construire des outils féministes efficaces de responsabilisation exige une adhésion sincère aux principes féministes, permettant diversité et créativité dans les idées et les pratiques, et ouvrant la voie à des alliances avec d’autres mouvements militant pour les droits humains. Cette responsabilisation féministe nécessite aussi une réalisation de l’impact qu’ont les différences sur le renforcement des stéréotypes concernant les mobilisations féministes, tout en restant inflexible face aux comportements autoritaires ou opportunistes.
Parmi les défis majeurs auxquels les mouvements féministes et queer sont confrontés face aux discours antiféministes figurent :
Dépasser la crise causée par les discours antiféministes impose d’abandonner la quête d’un discours unifié pour accueillir une pluralité féministe et construire une « plateforme militante commune » qui célèbre la diversité au lieu d’en faire un obstacle. Beaucoup de mouvements féministes dans notre région émergent de partis politiques ou de courants idéologiques spécifiques, ce qui les rend souvent prisonniers d’idéologies partisanes étroites, au détriment de la construction d’une pensée et de pratiques féministes autonomes. Partir d’un cadre idéologique fermé conduit fréquemment à l’exclusion des personnes aux identités et parcours divers, renforçant ainsi le sentiment d’aliénation au sein même des mouvements féministes. Ceci explique la rareté des alliances féministes stratégiques, à l’échelle régionale et internationale, qui pourraient pourtant unir leurs forces pour lutter efficacement contre les discours antiféministes.
Cette compétition interne constitue un défi majeur, qu’il s’agisse de financement, de représentation ou de prise de décision. Les tensions internes, souvent sévères et complexes, ne se contentent pas d’affaiblir les luttes féministes, mais alimentent également les discours antiféministes, renforçant ainsi un imaginaire social qui perpétue l’idée selon laquelle « les femmes seraient les ennemies des femmes ». De ce fait, plutôt que d’être perçus comme des mouvements pionniers au sein de la société, les mouvements féministes et queer sont marginalisés et réduits à leur incapacité à s’accorder ou à porter une « vision collective ».
Le défi consiste à éviter de restreindre les luttes à quelques questions définies d’avance comme « féministes », laissant ainsi d’autres domaines ouverts aux mouvements hostiles. Par exemple, la participation féministe reste relativement faible dans des enjeux centraux tels que la justice environnementale, l'économie féministe, le désarmement, le commerce international, la dette publique, ou encore les processus électoraux. Ces enjeux, pourtant cruciaux, façonnent notre monde sans qu'une voix féministe audible n’y soit véritablement présente. En conséquence, les discours antiféministes se développent dans ces domaines, atteignant le public déjà structurés et prêts à être largement adoptés.
Face à cette montée réactionnaire, le concept de « sororité » est parfois surexploité, devenant ainsi un outil pour identifier « qui est avec nous » et « qui est contre nous ». La sororité devient alors un club fermé, au lieu d’être un espace ouvert propice à l’établissement intersectionnelles avec d’autres mouvements, qu'ils soient situés ailleurs ou engagés sur d’autres terrains de lutte. Pourtant, la sororité devrait essentiellement exprimer un accord sur des principes fondamentaux plutôt que des affiliations exclusives ou fermées. C’est pourquoi il est essentiel d'abandonner la compétition ainsi que les méthodes inspirées du modèle patriarcal de lutte, et de transformer la sororité en un vaste espace de solidarité, favorisant la spécialisation dans une pluralité de domaines et l’intégration des différentes visions féministes afin de présenter une alternative pour un monde meilleur, placé sous le signe de la justice et de l’égalité.
Dans un contexte d’intensification des mouvements antiféministes, repenser les modes d’organisation féministes est une nécessité urgente, non seulement pour affronter les défis externes, mais aussi pour surmonter les divisions internes entravant l’action collective. Les divergences sont intrinsèques à la lutte féministe, mais leur gestion détermine la capacité à poursuivre la mobilisation et bâtir des alliances plus larges. Aujourd’hui, il est crucial d’adopter une pratique féministe qui embrasse la diversité, s’appuie sur des principes politiques clairs et rejette l’élitisme et l’autoritarisme. Ce tournant exige des formes d’organisation capables de croître sans trahir leurs principes.
Dr. Hadeel Qazzaz est féministe palestinienne, spécialiste du genre et du développement avec plus de trente ans d'expérience au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie centrale et au Canada. Son travail est axé sur la justice de genre, la démocratie et la lutte contre la pauvreté. Elle a été conférencière à l’Université de Birzeit et a mené des recherches approfondies sur la féminisation de la pauvreté, les violences basées sur le genre, et la participation des femmes à la prise de décision.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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