01.09.2025

Politiques antiféministes : l’alliance du patriarcat, du colonialisme et du fascisme

Cet article traite de l’alliance entre le patriarcat, le colonialisme et le fascisme dans l’antiféminisme, en exposant l’intensification de la répression politique contre les mouvements féministes et queers dans la région arabophone. Il dévoile aussi le rôle des financements de droite et l’instrumentalisation du discours de « protection de la famille et des valeurs » pour étouffer les mouvements de libération.

Les politiques antiféministes et leur diabolisation ne sont pas nouvelles dans les sociétés arabophones ; le mouvement féministe a toujours fait face à une résistance continue de la part des structures politiques et sociales, étant souvent présenté comme une menace pour la société, la famille, la religion et les traditions. Les formes de cette diabolisation ont oscillé entre des discours religieux et d’autres rhétoriques sexistes justifient la division patriarcale des rôles et légitimisent la violence comme partie intégrante de l’ordre social.

Mais les régimes politiques ont commencé, depuis plusieurs années, leur offensive contre les mouvements féministes populaires, passant du discours médiatique à des politiques fondées sur la violence, la pénalisation et l’incarcération, sous prétexte de protection de la « sécurité nationale » et des « valeurs familiales ». Cette escalade est liée à la montée du mouvement anti-genre et des régimes fascistes à travers le monde.

Cette montée nous rappelle la nécessité de reconstruire un discours féministe anticolonial, en tant que cadre analytique permettant de comprendre les racines de ces attaques et leurs objectifs.

Le mouvement antiféministe : patriarcat pur ou stratégie coloniale ?

Le mouvement anti-genre ou antiféministe est un mouvement patriarcal mondial, qui rejette la notion de genre en la considérant comme une idéologie menaçant les valeurs patriarcales, religieuses et familiales traditionnelles. Son discours exagère le danger de ce concept, s’appuyant sur un ensemble de structures idéologiques fondées sur le sexisme, le racisme, l’hostilité envers les communautés queers et les minorités. Ce mouvement utilise des mécanismes psychologiques comme l’amplification et la projection pour créer une panique morale et une mobilisation politique contre le féminisme et les communautés queers, afin de préserver et maintenir les structures du pouvoir dominant.

Les discours et les mouvements anti-genre peuvent être lus comme une extension contemporaine de la mentalité coloniale, mais sous une forme reformulée en fonction des modes de domination actuels, principalement basés sur les politiques du néocolonialisme.

Ce mouvement présente des similarités structurelles avec le projet colonial, que ce soit dans ses mécanismes de justification ou dans ses cibles, en particulier les femmes, les communautés queers, les personnes migrantes, les personnes noires et les minorités racisées.

Ce mouvement repose sur des fondements patriarcaux et coloniaux partagés, qui reproduisent les représentations patriarcales de la « nature fixe » du genre, qui ont été historiquement utilisées comme outils de subjugation des femmes et des personnes qui ne se conforment pas à l’ordre de genre binaire dominant. Il s’appuie aussi sur une logique de supériorité morale, héritée du discours colonial qui a été utilisée pour justifier les conquêtes et le racisme, où l’intervention dans la vie des « autres » (à travers les frontières ou les corps) est présentée comme un projet « civilisateur » nécessaire.

Par exemple, le colonialisme européen, notamment aux XIXe et XXe siècles, s’est largement appuyé sur le discours de la « supériorité morale et civilisationnelle » pour justifier sa domination sur les peuples d’Afrique et d’Asie. Ce discours justifiait les conquêtes, l’exploitation et la violence comme une « mission civilisatrice » par laquelle les puissances européennes « civilisées » auraient un devoir moral de sauver les peuples « arriérés » de leur ignorance et de leur barbarie.

Au Congo, par exemple, le roi Léopold II prétendait « libérer les peuples africains » tout en les réduisant en esclavage, les torturant et causant la mort de millions de personnes dans l’un des génocides les plus atroces de l’histoire. En Afrique, l’empire britannique aurait détruit les exploitations agricoles et les industries traditionnelles sous prétexte de les « faire entrer dans la civilisation ». En Algérie, les études coloniales célébraient la transmission des « lumières » et des « principes de justice française » aux populations locales « berbères », tandis que la France pratiquait le pillage, le meurtre et la destruction systématique.

Cette logique persiste encore aujourd’hui, à travers la tutelle impérialiste sur les pays du Sud, du moment de l’invasion de l’Irak au nom de la « démocratie » jusqu’au génocide à Gaza sous prétexte de « lutte contre le terrorisme ».

Aujourd’hui, le mouvement antiféministe adopte cette même logique et promeut les mêmes arguments : il présente la négation du droit à l’autodétermination corporelle et sexuelle comme un projet de « protection » de l’humanité contre le danger de l’homosexualité et du féminisme. Il dépeint le féminisme comme une force qui incite les femmes à avorter et à choisir librement leur parcours de vie, et valorise, pour sa part, le mariage, la procréation et la préservation de la « famille hétérosexuelle » comme seul modèle de vertu. Il s’appuie pour cela sur un discours qui sanctifie une « culture patriarcale » (inventée) face à une prétendue « invasion occidentale » incarnée par le féminisme.

Ces mouvements exercent une violence symbolique et matérielle contre les corps qui ne s’inscrivent pas dans le modèle hétérosexuel, de la même manière que le colonialisme punissait les corps colonisés. En s’appuyant sur une idéologie de droite, l’antiféminisme devient un projet mondial visant à réimposer l’ordre colonial et patriarcal comme seul système, notamment dans les pays du Sud global, qui sont ciblés de manière systématique pour mettre fin à leurs projets d’émancipation politique et économique. 

Néofascisme et financement de projets sexistes

Alors que le capitalisme impérialiste traverse de graves crises structurelles – dans l’empire américain, comme dans les pays européens, où l’extrême droite gagne du terrain – il ne trouve de solution pour sauver sa domination qu’en recourant à ses outils historiques: le fascisme et la répression systématique. Il n’y a plus de place pour le camouflage ni les discours sur les libertés à travers les projets néolibéraux, qui visaient à neutraliser et contrôler les discours politiques des organisations féministes. Le système mondial s’est transformé très clairement en une machine répressive assumée, qui s’attaque violemment aux mouvements de libération féministe et populaire.

Afin d’atteindre ses objectifs, le mouvement antiféministe s’allie au fascisme contemporain, aux organisations de droite et aux entreprises de technologie moderne, qui sont devenues des plateformes de diffusion du sexisme mondialisé, de la normalisation du colonialisme et de l’étouffement des voix révolutionnaires. Cela marque le début d’une nouvelle phase, où l’objectif est de normaliser, à l’échelle mondiale, les symboles et les discours de ces systèmes, et de préparer le terrain pour que les mouvements antiféministes s’emparent des espaces que les féministes ont mis des années à bâtir.

Malgré leurs contradictions internes, cette alliance a ouvert la voie à un discours unifié entre sexistes, unis par la haine des femmes et des communautés queers. Il ne s’agit pas d’un retour au patriarcat traditionnel, mais d’un patriarcat rénové, visant à créer des sociétés prêtes à accepter la répression et à se soumettre au néocolonialisme, en dirigeant leur conscience et leur colère vers un ennemi fictif comme le féminisme, l’homosexualité ou les migrant.e.s. Il anéantit ainsi toute possibilité de solidarité pouvant menacer les intérêts impérialistes.

Dans ce cadre, la plateforme « Open Democracy » a révélé un financement massif émanant de groupes chrétiens conservateurs américains, liés à Trump et ses alliés, destiné à des campagnes hostiles aux droits des femmes et des communautés queers à travers le monde. Ces fonds – qui dépassent les 280 millions de dollars – sont qualifiés d’« argent noir» en raison de l’opacité entourant leur origine et leur utilisation, et ont été utilisés pour influencer les lois et les politiques relatives à la sexualité et au genre en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Ce changement dans la politique américaine, passant du financement des politiques néolibérales dans les mouvements féministes dans le but de les contrôler et d’en absorber la radicalité, au financement des mouvements fascistes et sexistes, n’est pas simplement un conflit opposant féminisme au patriarcat, mais fait partie d’une nouvelle stratégie coloniale.

D’un côté, les États-Unis et les pays européens financent l’État sioniste pour qu’il commette un génocide à Gaza, et soutiennent des régimes autoritaires menant des guerres par procuration au Soudan, au Yémen, au Sahara occidental, au Congo et ailleurs. De l’autre, ils favorisent l’ascension de régimes fascistes dans le Nord global, qui acheminent cet « argent noir » pour conquérir les esprits et restructurer le monde selon les intérêts coloniaux.

Domination patriarcale et nationalisme chauvin

Les politiques fascistes dominantes à l’échelle mondiale trouvent un ancrage dans les pays arabophones, où les régimes autoritaires ont renforcé leurs discours chauvins, formant une orientation nouvelle ciblant les femmes, les minorités sexuelles et ethniques, et les migrant.e.s, sous prétexte de défendre la sécurité nationale contre « le danger de l’homosexualité », la révolte contre l’autorité masculine, et les transformations démographiques « causées par la migration ».

Ces arguments ont été amplifiés par l’invocation de valeurs et d’idéologies patriarcales et racistes déjà profondément enracinées dans les sociétés, mais cette amplification ne peut être dissociée de l’ordre mondial. Le lien organique entre les systèmes néocoloniaux et le fascisme mondial n’est plus un secret : ces régimes s’alignent sur les discours dominants des politiques globales, et adaptent les messages adressés à leurs populations à cette même logique de domination.

Pour comprendre ce lien de manière plus approfondie, il suffit d’observer les politiques punitives à l’encontre des féministes, des femmes trans et des militantes, qui sont appliquées sous des prétextes comme la « protection de la famille » ou par des accusations telles que « incitation à la débauche », ou encore l’emprisonnement des femmes trans sous l’accusation de «se faire passer pour l’autre sexe».

En Arabie saoudite, par exemple, l’approche punitive envers les féministes a été l’une des politiques répressives les plus violentes contre le mouvement féministe. Le régime a déclaré que le féminisme menaçait la sécurité nationale et incitait au « terrorisme », puis a lancé des campagnes d’arrestation visant la majorité des militantes féministes engagées pour l’abolition de la tutelle masculine, le droit de conduire et les droits politiques et sociaux.

Cette orientation officielle vers la punition et la violence contre les féministes s’est intensifiée jusqu’à devenir une guerre contre la présence même des femmes dans les espaces publics et virtuels, visant même les marges infimes où les femmes tentent d’exister hors des contraintes patriarcales.

En Égypte, les arrestations des « filles TikTok » sont apparues comme l’un des exemples les plus emblématiques de cette période sous le slogan de la « protection de la famille égyptienne ». C’est une déclaration claire de l’autorité, affirmant qu’elle défendra un modèle fondé sur la binarité de genre et l’oppression patriarcale, criminalisant les choix d’apparence et d’identité comme fondation de survie de ce système.

Au Koweït, en Irak et ailleurs, les arrestations des personnes homosexuelles et des femmes trans se poursuivent sous prétexte de « ressemblance avec l’autre sexe », cette fois en s’appuyant sur le discours du « mouvement anti-genre mondial » plutôt que sur celui du « halal et haram ». Par exemple, la campagne « Fitra » a construit ses arguments contre l’homosexualité dans le cadre du discours de la droite mondiale, qui promeut exclusivement une binarité (homme/femme) et présente l’hétérosexualité comme le seul modèle « naturel ».

La protection de la hiérarchie patriarcale et hétéronormative dans les sociétés de la région est essentiellement liée à la survie des régimes en place. L’existence de hiérarchies sociales contribue à normaliser les hiérarchies de classe et à justifier la répression et l’oppression politique. On observe une tendance croissante des régimes politiques à diffuser des discours nationalistes et chauvins, visant à forger des peuples soumis à l’image du dirigeant patriarcal, qui réprime et opprime « dans l’intérêt supérieur de la nation » et combat le danger étranger incarné par « les migrant.e.s ».

Ce modèle est apparu clairement en Afrique du Nord, où les régimes de Libye, de Tunisie, du Maroc et d’Algérie ont adopté un discours nationaliste et raciste envers les personnes noires, mobilisant leurs peuples contre les personnes migrantes pour appliquer les accords conclus avec l’Europe dans le cadre de ce qu’on appelle la « protection des frontières ». Cette politique s’inscrit dans les stratégies migratoires européennes fondées sur « l’impérialisme frontalier », qui vise à maintenir l’hégémonie capitaliste sur l’Afrique et à réprimer les tentatives de ses peuples de recherche d’une vie meilleure.

Faire face à la haine par la résistance

On ne peut comprendre l’essor du discours antiféministe dans la région arabophone en dehors de son contexte historique et social. Ce phénomène n’est pas simplement une réaction locale, mais fait partie des stratégies du néocolonialisme contemporain qui coopère avec les systèmes patriarcaux traditionnels pour préserver le statu quo.

Le véritable défi ne réside pas seulement dans la critique du phénomène antiféministe ou son analyse académique, mais dans la construction d’une alternative théorique et organisationnelle capable de lui faire face, de bâtir des canaux de communication efficaces avec les bases populaires, en particulier les groupes opprimés, et de contenir le discours de haine d’une manière qui permette de dépasser toutes les formes de domination : coloniale, patriarcale et capitaliste.

Souad Souilem est une chercheuse féministe panafricaine originaire du Sahara occidental. Elle travaille sur les formes d’organisation et l’éducation politique visant à démanteler les systèmes coloniaux, patriarcaux et capitalistes, et à bâtir des alliances révolutionnaires entre les luttes.

Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.

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