Cet article explore comment l’archétype de la tentatrice, enraciné dans des récits comme celui de Salomé, continue de façonner les biais juridiques à l’encontre des femmes dans la région MENA. Des salles d’audience à l’opinion publique, il révèle comment mythe, morale et misogynie se conjuguent pour criminaliser la présence et l’agencéité des femmes tout en réduisant au silence les survivantes.
Les récits font partie intégrante de nos cultures et de notre histoire. Transmis de génération en génération, ils deviennent notre mémoire collective et façonnent subtilement les valeurs, les rôles et les attentes qui régissent la société. Mais quelles leçons ces histoires transmettent-elles ? Comment sont-elles interprétées ? Et dans l’intérêt de qui ?
Qu’ils relèvent du mythe, de la légende ou de l’anecdote historique, les récits qui perdurent laissent des traces profondes dans le tissu culturel. Racontés et réinterprétés au fil du temps, ils se cristallisent en archétypes : des figures symboliques porteuses d’un poids idéologique. Ces archétypes ne sont jamais neutres, surtout lorsqu’ils sont liés au genre et à la sexualité. Ils reflètent et renforcent des conceptions de la morale, du pouvoir et de l’ordre social.
L’un des archétypes les plus anciens, insidieux et nocifs est celui de la tentatrice. Son origine remonte à des figures comme Ève, punie par la douleur et la soumission pour le « péché originel », ou Lilith, qui osa réclamer l’égalité et fut bannie pour cela. Mais une figure biblique est devenue l’incarnation par excellence de cet archétype : Salomé.
Contrairement à Ève, dont l’histoire et l’héritage relèvent de la théologie, ou à Lilith, invoquée comme symbole de rébellion, l’histoire de Salomé est à la fois théâtrale et judiciaire. Elle reste dans les mémoires comme la jeune fille sensuelle, la « femme fatale » biblique, dont la danse entraîna l’exécution d’un prophète. Son héritage mêle sexualité et culpabilité, spectacle et punition, et continue d’influencer la manière dont les corps et les désirs des femmes sont interprétés devant les tribunaux.
“Or, le jour de l’anniversaire d’Hérode, la fille d’Hérodiade exécuta une danse devant les invités. Hérode était sous son charme: aussi lui promit-il, avec serment, de lui donner tout ce qu’elle demanderait. A l’instigation de sa mère, elle lui dit : Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste.” – Matthieu (14 : 6-11)
Et c’est exactement ce qu’il fit.
Ainsi, la nièce d’Hérode Antipas devint la figure maléfique par excellence dans les traditions abrahamiques, pour avoir, en tant qu’adolescente, obéi à sa mère et provoqué la mort de Jean le Baptiste (ou prophète Yahia). Son histoire a inspiré des œuvres culturelles et littéraires à travers les siècles : textes religieux, peintures de la Renaissance, littérature romantique, cinéma moderne; autant de productions qui ont contribué à solidifier l’archétype de la tentatrice, à la fois esthétique et récit moral.
Pourtant, toutes les interprétations ne sont pas aussi réductrices. Certain·es voient en Salomé une jeune fille contrainte à l’obéissance, manipulée par sa mère et par la cour patriarcale. D’autres y lisent une parabole sur la dysfonction familiale, où une adolescente devient un pion dans des jeux de pouvoir d’adultes. Ces contre-récits remettent en question l’archétype dominant et montrent comment les relectures simplistes et moralisatrices effacent la complexité, la nuance et le contexte.
Le mouvement mondial #MeToo a marqué un tournant majeur dans la manière dont les sociétés abordent le harcèlement sexuel. Des salles de conseil hollywoodiennes aux auditions de confirmation devant la Cour suprême des États-Unis, des campagnes politiques aux amphithéâtres universitaires, des survivant·es de violences sexuelles ont commencé à prendre la parole, exigeant des comptes à celles et ceux qui avaient longtemps agi en toute impunité.
Mais cette prise de conscience n’a pas eu la même résonance partout.
Si la misogynie est un phénomène mondial, dans de nombreuses régions du MENA, elle est tolérée, voire encouragée, par des systèmes juridiques façonnés par des lectures patriarcales de la religion et de la tradition. Les femmes qui prennent la parole risquent non seulement l’isolement social, mais aussi l’arrestation, la destruction de leur réputation et parfois la mort.
En Égypte, Nayera Ashraf a été assassinée en plein jour sur les marches de son université pour avoir repoussé les avances d’un homme. Les réseaux sociaux ont rapidement été inondés de commentaires insinuant qu’elle avait « provoqué » son meurtrier par son apparence et la manière dont elle l’avait rejeté. Certain·es sont allé·es jusqu’à la qualifier de cruelle pour avoir simplement posé ses limites et exercé son droit de contrôler ses choix de vie. En Jordanie, des cas de féminicides ont été qualifiés de « crimes d’honneur » et traités avec indulgence par la loi. Bien que l’article 340 du Code pénal jordanien qui autorisait autrefois les hommes à tuer sans sanction des parentes surprises en adultère ait été modifié, ces crimes persistent et l’opinion publique reste divisée.
Au Soudan, lorsqu’une vague d’accusations de harcèlement a commencé à circuler en ligne, le débat s’est rapidement déplacé vers la moralité des femmes qui prenaient la parole. Le hashtag #MeToo au Soudan, apparu vers 2021, a suscité de fortes réactions négatives: les survivantes ont été dépeintes comme des provocatrices, accusées d’indécence, de séduction et de salir la réputation de jeunes hommes « prometteurs ».
Le Code pénal soudanais de 1991 criminalise la « séduction » et la « tentation », en théorie pour les deux genres, et fait même référence à l’abus d’autorité masculine. Mais en pratique, il offre peu de procédures et ne précise pas clairement quelles preuves sont nécessaires pour porter plainte. La charge de la preuve dissuade de nombreuses survivantes d’agressions de demander de l’aide et les sanctions prévues pour le harcèlement restent légères, sauf en cas de viol.
Dans ce vide probatoire, les verdicts se fondent souvent sur la perception populaire plutôt que sur les preuves. Et ces perceptions restent hantées par des archétypes.
Un système judiciaire est censé éviter les condamnations injustes. Mais lorsqu’une femme est punie simplement pour avoir refusé de cacher sa féminité sous la honte, lorsque sa prestance, son ton ou son attitude servent à juger de sa crédibilité, la prudence cède la place au désir de punir et de contrôler.
L’archétype de la tentatrice prospère lorsqu’il n’est pas remis en cause. Il structure silencieusement les institutions, influence le traitement médiatique et façonne la perception des juges et des jurys. Il peut exclure, ostraciser, voire tuer. Dans certains contextes, il légitime des pratiques culturelles comme les mutilations génitales féminines (MGF), présentées comme nécessaires pour « préserver l’honneur » et contenir la « tentation ».
Pour le déconstruire, il faut l’attaquer à la racine : dans les programmes scolaires, dans les chartes des droits qui déterminent la place des femmes, dans les salles d’audience qui scrutent leur comportement, dans les prêches du vendredi comme dans les sermons du dimanche. Cela exige plus qu’une présence symbolique dans les instances judiciaires, les espaces de rédaction législative et les lieux d’interprétation religieuse. Les femmes doivent être présentes comme décideuses, pas comme vitrines. Mais la présence seule ne suffit pas : sans perspective féministe, la participation peut renforcer les mythes mêmes qui perpétuent l’oppression.
Il faut aussi reconnaître que les préjugés ne s’expriment pas toujours ouvertement. Ils se glissent dans les gestes, les regards portés aux vêtements d’une victime, les décisions sur les affaires qui iront ou non en procès « faute de preuves ».
Désapprendre l’archétype de la tentatrice, c’est redonner aux histoires leur complexité. C’est raconter des récits qui ne commencent ni ne se terminent par la séduction, qui ne font pas peser la faute sur le désir. C’est mettre le pouvoir entre les mains des femmes longtemps perçues comme des menaces, simplement parce qu’elles existent en tant que femmes.
Quand la séduction ne sera plus synonyme de péché, quand la féminité ne sera plus un fardeau, quand une femme pourra entrer dans un tribunal sans être préjugée par un mythe culturel,
Alors, peut-être, Salomé pourra reposer en paix.
Nibras Sebdarat est avocate soudanaise et fondatrice de The Legal Instrument, une plateforme dédiée à l’élargissement de l’accès à la justice. Elle utilise le récit pour rendre le langage juridique accessible, compréhensible et pertinent pour la vie quotidienne.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
+961 1 202491+961 1 338986feminism.mena(at)fes.de
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