Le système carcéral incarne une justice à sens unique, où les plus opprimé·es sont criminalisé·es au nom d’un ordre dominant. En Algérie et ailleurs, l’incarcération des femmes prolonge le patriarcat et l’héritage colonial. Il est urgent de repenser la justice en questionnant ce système sur qui emprisonne qui et en proposant des alternatives transformatrices.
Depuis l’enfance, on m’a appris à craindre l’autorité. À la maison, ma mère menaçait de tout raconter à mon père, et lui, désignait un policier dans la rue : " « Attention, je vais lui dire ! » Comme si l’autorité suprême ne lui appartenait pas, comme si elle résidait ailleurs, indiscutable et inaccessible.
Par peur, chacun tentait de me contrôler. Ma mère, soumise, transmettait l’idée que l’homme avait toujours le dernier mot. Mon père, conscient des limites de son pouvoir, s’appuyait sur l’autorité du policier. Ainsi, cette soumission se perpétuait, renforcée par la menace d’une force supérieure. Toute « faute » se soldait par la violence ou par l’enfermement, privée de sortie, cloitrée entre quatre murs.
Plus tard, en devenant féministe, j’ai compris que l’enfermement ne commence pas en prison, mais bien avant : dans nos foyers, nos écoles, nos rues. Pour les femmes, ce contrôle, exercé à travers l’interdiction d’accès à l’espace public et aux droits, est déjà une réalité quotidienne.
Dans un cadre patriarcal, le premier « geôlier » est le patriarche, cette figure d’autorité masculine, qui impose sa domination au nom d’un ordre familial ou moral. Dans le système judiciaire, cette même logique de contrôle est appliquée par l’État et ses forces garantes de « l’ordre » établi. Ces deux systèmes – familial et carcéral – ont un même objectif : discipliner, soumettre, punir.
À l’image de la colonisation, la prison reste un outil de domination, ciblant en premier lieu les plus opprimé·es.
Qui emprisonne qui, et au nom de quelle justice ?
L’histoire algérienne illustre cette réalité. Pendant la guerre de libération, des centaines de moudjahidate furent arrêtées, emprisonnées, torturées et condamnées à mort par la « justice » coloniale française, qui considérait leurs actes de résistance comme du terrorisme. Elles furent jugées et punies comme des criminelles, par un système qui refusait de reconnaître leur combat politique. Djamila Bouhired, Zohra Drif ou Louisette Ighilahriz subirent une répression brutale, incarnant le sort réservé aux femmes engagées contre la domination coloniale.
Djamila Boupacha, notamment, fut victime de viols collectifs et de tortures perpétrés par l’armée coloniale française. Grâce à Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, son cas fut révélé au grand public, exposant l’usage de la violence sexuelle comme arme de domination carcérale et coloniale. Son histoire montre à quel point les corps des femmes emprisonnées deviennent des champs de bataille où s’exercent et se superposent des oppressions multiples.
Pourtant, après l’indépendance en 1962, ces mêmes femmes furent érigées au rang d’héroïnes nationales. Celles qui, hier encore, étaient jugées comme criminelles, sont aujourd’hui devenues des figures glorifiées. Ce renversement révèle une vérité fondamentale : la justice n’est ni neutre ni universelle. Elle est une construction politique et idéologique, au service du pouvoir dominant.
Cela ne signifie pas pour autant qu’un système devenu indépendant empêche l’emprisonnement et la punition des femmes. En Algérie comme ailleurs, elles continuent d’être incarcérées, cette fois au nom d’un ordre « national ». Il est crucial de se demander pourquoi un système censé être libre et libérateur perpétue encore les logiques de domination et d’injustice.
La réponse se trouve dans l’analyse d’autres systèmes de domination qui s’imbriquent avec l’héritage colonial, comme le patriarcat, le capitalisme ou le racisme d’État. Des penseuses comme Angela Davis ou bell hooks ont largement montré comment les oppressions de race, de classe et de genre s’entrelacent dans les systèmes répressifs. On retrouve cette dynamique dans d’autres contextes, comme en Iran, où l’instrumentalisation de la justice sert à contrôler les corps des femmes et à étouffer les résistances.
On ne peut accepter l’argument selon lequel l’incarcération soit légitime au nom de la justice parce qu’elle punit la criminalité, sans s’interroger : qui définit ce qu’est un crime ? Qui décide qui doit être puni et par quel système ? Pourquoi l’exploitation, la domination classiste, sexiste et raciale échappent-elles à toute sanction, alors que le vol est criminalisé ?
Dans une société inégalitaire, la prison cible les plus vulnérables, prolongeant à la fois le contrôle patriarcal et social, ainsi que la domination socio-économique et coloniale. Elle enferme même les femmes qui osent se défendre contre leurs agresseurs, révélant ainsi toute l’injustice du système.
Parmi les plus défavorisées, les femmes détenues en Algérie (1,7 % de la population carcérale) sont particulièrement vulnérables et exposées à la récidive. Privées de capital économique et social, elles subissent une justice qui prétend les corriger, mais ne fait que les punir. Comme l’explique Angela Davis dans Are Prisons Obsolete ? la prison moderne perpétue les systèmes esclavagistes et coloniaux, punissant les marginalisées pour protéger les dominants.
Face à ce constat, il devient de plus en plus urgent de repenser la justice au-delà de la seule punition. Il ne s’agit pas de nier les crimes ni d’abolir toute responsabilité, mais de comprendre pourquoi certains groupes sont systématiquement criminalisés tandis que d’autres échappent à toute sanction. Nous devons proposer une justice transformatrice, fondée sur la reconnaissance de la responsabilité collective, l’accès aux droits fondamentaux et la remise en question des inégalités systémiques.
Angela Davis l’affirme : la prison ne résout pas les violences, elle les perpétue. Personnellement, je pense qu’une justice féministe et décoloniale doit reconnaître que la plupart des crimes sont le produit d’un système qui ignore d’autres « crimes systémiques » : la pauvreté, l’exclusion et l’absence de protection sociale. Plutôt que d’enfermer les plus précaires et marginalisé.es, il faudrait s’attaquer aux racines de l’injustice.
Je ne cherche ni à dissuader les victimes de porter plainte, même dans un système sans alternative, ni à minimiser la gravité des crimes. Mon intention est plutôt de mettre en lumière les véritables responsables des injustices sociales et de dénoncer un système qui nous maintient sous domination tout en entretenant l’illusion d’une justice inatteignable.
Une véritable justice ne pourra émerger qu’en se défaisant des logiques héritées de la répression coloniale, de la domination sexiste, du contrôle patriarcal et de l’exploitation capitaliste. Tant que la prison restera un outil de discipline et de légitimation du pouvoir étatique, elle ne fera que perpétuer ces systèmes d’oppression. Il est urgent d’imaginer des alternatives collectives, où la réparation et la transformation priment sur la seule punition — un modèle où la protection des femmes avant qu’elles ne soient assassinées deviendrait enfin une priorité, plutôt que de débattre d’une peine de mort qui n’a jamais ramené une victime de féminicide à la vie.
Amel Hadjadj est une militante féministe intersectionnelle décoloniale et fondatrice du « Journal Féministe Algérien », où elle crée du contenu et développe des programmes de sensibilisation. Amel est depuis 2017 consultante et intervenante sur les questions de genre et de féminisme. Blogueuse, elle contribue à plusieurs médias nationaux et méditerranéens.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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