L'article affirme que l'autonomie corporelle ne peut être pleinement réalisée sans aborder les problèmes systémiques tels que la discrimination de genre, le capitalisme et le colonialisme. Il souligne que l'autonomie corporelle est un droit humain fondamental intrinsèquement lié aux droits sociaux, économiques et culturels plus larges, et plaide pour un cadre de justice qui s'attaque aux causes profondes de l'oppression pour atteindre une véritable libération.
Il est impossible de réaliser pleinement le droit à l’autonomie corporelle sans rompre avec les rapports de force en place de la discrimination basée sur le genre, du capitalisme et du colonialisme, parmi d'autres formes d'oppression. La capacité d’exercer l’autodétermination sur son propre corps est le premier acte de libération et ne peut être dissociée de la libération de la terre et de l’exploitation des politiques néolibérales.
Malgré le discours réactionnaire actuel le qualifiant de « nouveau droit », le droit à l’autonomie corporelle, est stipulé dans la Déclaration et le Programme d'action de Beijing de 1995, et a fait partie intégrante des traités internationaux relatifs aux droits humains depuis leur mise en place ; en outre, il repose sur les principes de la vie privée et de l'intégrité physique.
Ce droit a été depuis lors réaffirmé dans divers documents politiquement négociés, dans des espaces multilatéraux tels que le Conseil des Droits Humains, l'Assemblée Générale des Nations Unies et la Commission de la Condition de la Femme, entre autres, ainsi que dans le travail de juristes et d’experts internationaux chargés d'interpréter les normes relatives aux droits humains.
Le droit à l’autonomie corporelle joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre du droit à la non-discrimination. Les actes de violence, de coercition, le non-respect du consentement, le refus de fournir des informations et des services de santé sexuelle et reproductive, ainsi que les tests de virginité, représentent tous des atteintes à ce droit et demeurent omniprésents dans le monde entier, notamment en Asie du Sud-Ouest et en Afrique du Nord (SWANA). Il est reconnu au sein du droit international des droits humains que le droit à l’autonomie corporelle est intimement lié à un ensemble plus vaste de droits, y compris les droits sociaux, économiques et culturels.
Le féminisme Occidental dominant s'est concentré sur le droit à l’autonomie corporelle au point de le dissocier d'un ensemble plus vaste de droits, et plus important encore, des questions liées au droit à l’autonomie corporelle dans le contexte du capitalisme et du colonialisme. Le slogan « Mon Corps, Mon Choix », bien que partiellement efficace, n'est qu'une partie d'un débat plus large sur la façon dont la pleine réalisation du droit à l’autonomie corporelle est influencée par la discrimination intersectionnelle, où les systèmes d'oppression interagissent et impactent les groupes marginalisés dont le statut est souvent non reconnu par un cadre législatif spécifique. Il est donc nécessaire de passer d'un cadre de droits à un cadre de justice, qui ne se contenterait pas de prendre en compte les cadres législatifs, mais chercherait également à former des communautés saines et à améliorer les conditions matérielles.
Dans plusieurs pays de la région SWANA, les cadres législatifs ne respectent généralement pas les normes internationales des droits humains. Dans ces contextes, les femmes, les filles et les personnes de diverses orientations sexuelles, identités de genre et caractéristiques sexuelles sont confrontées non seulement à des normes sociales patriarcales, sexistes, transphobes et homophobes - souvent traduites en lois et pratiques formelles - mais également à des obstacles économiques et physiques considérables pour accéder à l’ensemble des informations et services de santé sexuelle et reproductive nécessaires. C’est le cas notamment des personnes faisant face à une discrimination intersectionnelle, telles que les travailleuses et travailleurs migrant(e)s et domestiques qui sont victimes d’un racisme et d’une xénophobie institutionnalisés, et des personnes handicapées souffrant de l'âgisme et du manque de soins adéquats et de participation significative.
Cela se traduit par exemple dans la dépriorisation des droits sexuels et reproductifs dans les budgets de la santé et les programmes humanitaires. Dans une région très touchée par le colonialisme, les guerres, la répression politique, les conflits et les urgences environnementales, cela accentue la marginalisation déjà profondément ancrée dans des logiques de genre et d'égalité. Cette dépriorisation est également le résultat de la discrimination basée sur le genre, où les questions considérées comme des « préoccupations des femmes » sont souvent négligées. Les services de santé maternelle, qui correspondent à des rôles de genre socialement acceptés et moralement validés, reçoivent une attention et des ressources plus importantes que d'autres services, tels que l'accès à l'avortement, à la contraception, et aux services de santé sexuelle.
L’absence de prise en compte de l’autonomie corporelle dans les politiques publiques est accentuée par l'impulsion néolibérale, souvent soutenue par des institutions internationales telles que le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale, à mettre en œuvre des mesures d'austérité qui affectent principalement les systèmes de santé et d'éducation publique déjà fragilisés, entraînant ainsi une érosion croissante des systèmes de santé publique et une privatisation accrue du secteur de la santé dans des pays comme le Liban et la Jordanie. Ces tendances aggravent les inégalités en matière de santé et créent des systèmes de santé à deux vitesses, où seules les personnes aisées peuvent accéder à des soins, des informations et des services de qualité supérieure.
Outre les conséquences néfastes de la discrimination basée sur le genre, du capitalisme et du néolibéralisme, des puissances coloniales telles qu’Israël ont utilisé le droit à l’autonomie corporelle pour justifier le nettoyage ethnique, le génocide et d'autres formes d’oppression. Depuis le début de son occupation de la Palestine, Israël a violé les droits reproductifs des Palestiniennes. La Cour Internationale de Justice a reconnu que ces violations font partie du crime de génocide, dans le cadre du génocide actuel à Gaza. Le pinkwashing – prétendant respecter l’autonomie corporelle des individus dans la communauté LGBTIQ+ – a également été exploité par Israël pour masquer ses violations contre les Palestiniennes et Palestiniens queer, qu'ils ont menacés d'exposer à leurs familles et communautés à moins qu'ils ne se plient à leurs demandes.
Il convient également de souligner que l’absence d’autonomie corporelle dans la région SWANA est directement liée aux critères des institutions financières mondiales pour les prêts, ainsi qu’aux priorités des donateurs étrangers en matière des droits sexuels et reproductifs et de questions relatives à la communauté LGBTIQ+. Cette concentration Occidentale sur les droits individuels servant de base à des litiges, tend à négliger les initiatives axées sur la justice reproductive, qui abordent les facteurs sociaux et autres déterminants de la santé et des conditions matérielles nécessaires pour réaliser le droit à l’autonomie corporelle. Le fait de négliger les droits socio-économiques et les questions d'économie politique telles que l'allègement de la dette, la couverture sanitaire universelle et l'accès aux médicaments, ainsi que les initiatives visant à remettre en cause le rôle des entreprises dans les violations des droits humains ou la démilitarisation des sociétés, entrave l'application d'un cadre de justice reproductive. Par exemple, le financement accru du mariage précoce et forcé d'enfants au Liban à la suite de la guerre en Syrie a entraîné l’organisation de plusieurs campagnes ciblant cette pratique sans aborder de manière significative ses origines profondes, ni soutenir les initiatives visant à prévenir la récurrence de ces actes.
Cette position néolibérale accentue la discrimination préexistante basée sur le genre et rend le tissu social et politique indigène des pays de la région SWANA encore plus vulnérable au discours réactionnaire et conservateur croissant de l'extrême droite, colporté par les Églises Catholique et Orthodoxe et par des organisations Evangéliques principalement Nord-Américaines, dont le principal objectif est de distinguer entre le bien-être économique de « la famille » – ou du moins leur attachement étroit à la famille nucléaire – et le droit à l’autonomie corporelle. C’est ainsi que tout effort de faire progresser le droit à l’autonomie corporelle sera détourné par ces acteurs conservateurs, et sera alors remplacé par des conversations sur les conditions socio-économiques de « la famille ». Cette instrumentalisation serait plus difficile à réaliser si l'aspect de l'économie politique du droit à l’autonomie corporelle était pris en compte.
En abordant l’autonomie corporelle comme un droit individuel, on a tendance à ignorer les principaux obstacles liés à la réalisation de ce droit. Ainsi, en le considérant comme un indicateur de progression et une condition pour fournir de l'aide, les puissances et institutions Occidentales s’infiltrent dans le débat selon lequel les droits sexuels et reproductifs sont une importation occidentale (souvent utilisée par les régimes oppressifs de la région SWANA). Les militantes et militants indigènes qui travaillent sur ces questions sont alors accusés d’être des agents de l'Occident, ce qui aggrave leur surveillance préexistante et les contraintes à leur travail. L'absence d’une position de principe conforme au droit international des puissances Occidentales concernant la libération de la Palestine, et leur double standard flagrant dans la manière dont elles priorisent les droits sexuels et reproductifs (SRHR) à l’échelle nationale et internationale, tout en négligeant les violations flagrantes des droits sexuels et reproductifs perpétrées par Israël en Palestine, renforce également cette dynamique.
L’autonomie corporelle ne se limite pas aux droits individuels. Elle nécessite des changements systémiques impliquant des pratiques législatives plus fondamentales – au moins, jusqu'à ce que les systèmes d'oppression structurels soient remis en question et démantelés et que de nouvelles dynamiques soient instaurées.
Paola Salwan Daher est militante féministe, juriste internationale et chercheuse à l'Institut Asfari pour la Société Civile et la Citoyenneté. Elle a 15 ans d'expérience dans le domaine des droits des femmes et des filles, de l'égalité des genres et des droits sexuels et reproductifs. Ses domaines d'expertise incluent également le plaidoyer dans les espaces multilatéraux et les liens entre les droits humains internationaux et le droit humanitaire.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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