Cet article explore comment les codes vestimentaires universels sur le lieu de travail contribuent à la marchandisation des corps des femmes et perpétuent les systèmes oppressifs.
Longtemps, le capitalisme a tiré profit de la marchandisation du corps des femmes. L'économie de marché, est évidemment influencée par la mondialisation, d’où son rôle dans l’établissement et la mise en place de critères de beauté mondiaux qui ne tiennent pas compte des particularités culturelles et de classe. Les entreprises de cosmétiques l’ont bien reflété en standardisant les critères de beauté, et en prétendant pouvoir redonner jeunesse et minceur, orientant ainsi la consommation dans ce sens. Ce système s’appuie sur l’idée que les personnes concernées dépenseront des fortunes pour atteindre ces normes de beauté irréalistes.
Au fil du temps, la formule magique de la beauté offerte par les entreprises capitalistes devient une consécration d'une image stéréotypée de la beauté des femmes. Dans ce contexte, je mets l’accent sur l'analyse des dimensions du terme "femme" en tant qu'entité unique. Cet usage met l’accent sur le système capitaliste régit sur une dimension coloniale, et il cherche délibérément à définir ce qui est beau et ce qui est laid. Les caractéristiques culturelles non occidentales sont souvent attribuées à ce qui est laid, de sorte que le stéréotype de la beauté est une image individuelle d'une femme unique, et par conséquent une image fondamentalement raciste.
La définition des critères de beauté ne visait pas uniquement à être une source de profit grâce à la consommation. Cette standardisation s'est également étendue à l'objectivation du corps des femmes dans divers domaines professionnels, où leur corps devient une marchandise en soi et une source de profit. Par conséquent, les entreprises de cosmétiques et de mode font appel à de belles jeunes femmes pour attirer l'attention et faire la promotion de leurs produits. Cela s'applique aussi aux annonces de recrutement dans différentes entreprises, telles que les compagnies aériennes et les agences de tourisme. En effet, ces dernières annoncent ouvertement leur désir de recruter une employée ayant une "belle apparence", et dictent des critères particuliers pour l'uniforme et le maquillage.
Selon la plateforme mondiale "Harvard Business Review", affiliée à la Harvard Business School, le "code vestimentaire sur le lieu de travail" repose sur des normes vestimentaires établies par les entreprises en fonction de la nature de leur activité et de la manière dont la tenue contribue à présenter une image professionnelle de l'entreprise. Les banques, ainsi que d'autres entreprises par exemple, peuvent exiger une tenue formelle pour conférer une image professionnelle auprès des clients. Cependant, nous négligeons souvent de considérer la véritable nature de ces normes. Les codes vestimentaires sur le lieu de travail peuvent sembler objectifs et apolitiques, instaurés pour organiser les professions et maintenir leur professionnalisme. Toutefois, définir ce qui est "professionnel" implique bien évidemment de déterminer ce qui est "non professionnel". Cette définition maintient et perpétue la mise en place de critères racistes, discriminatoires et exclusifs. Ces codes vestimentaires ne font que préserver un pouvoir colonial qui exclut les personnes dont l'apparence ne correspond pas à la conception de l'homme blanc de la "professionnalité et du professionnalisme".
Alors que ces normes déterminent une tenue vestimentaire formelle de certaines femmes, elles privent, en même temps, beaucoup d’autres d’y avoir accès étant donné que leur culture et leurs valeurs ne correspondent pas à ces attentes. Des standards spécifiques, tels que le port de robes et de jupes comme tenue formelle ou même l'interdiction du voile dans certains emplois, approfondit alors la fracture sociale entre les différentes catégories. La solution à ce dilemme ne réside pas dans le scénario inverse, qui revêt également un aspect exploiteur. La mise en place de toute norme nécessite la promotion d'un stéréotype, généralement réservé à celles et ceux qui ne possèdent pas ces caractéristiques. Ce système capitaliste, intrinsèque à l’exploitation, définit systématiquement le professionnalisme selon des critères liés à la "sophistication" et à la "civilisation".
Si nous nous écartons de cette analyse relative à la classe, nous constatons que ces normes jouent un rôle important dans l'application et le renforcement de l'injustice de genre en définissant ce qui est "moral" et, par conséquent, en déterminant ce qui est "immoral". De cette manière, la moralité est équivalente au professionnalisme. Dans les deux cas, il s'agit d'un effort délibéré pour sexualiser et objectiver le corps des femmes.
Des hôtesses de l'air et des employées de compagnies aériennes arabes ont rapporté dans des entrevues que leurs entreprises leur imposent un uniforme obligatoire et des conditions spécifiques auxquelles elles doivent se conformer, telles que la coiffure et la longueur des cheveux, la couleur du vernis à ongles et l'obligation d'utiliser des produits cosmétiques. Bien que ces compagnies soient arabes, elles s’activent à effacer des éléments de l'identité Arabe, comme le voile ou les cheveux crépus. De plus, l'entreprise peut demander à une employée de quitter son poste si son poids dépasse la norme établie, l’obligeant ainsi à perdre du poids pour pouvoir réintégrer ce poste.
Ces entreprises veillent à ce que les employées respectent les conditions mentionnées, en vérifiant leur apparence avant qu'elles montent à bord de l'avion. En cas de non-respect des normes, l'entreprise impose des sanctions pouvant aller jusqu'à l'interdiction d'embarquer ou même la déduction d'une partie du salaire mensuel en guise de mesure disciplinaire. Cette méthodologie de travail révèle un déséquilibre dans la relation de pouvoir entre l'employeur et les employé(e)s, où toute violation des règles est menacée et exploitée, rendant difficile le maintien des opportunités d'emploi, déjà limitées pour les femmes.
Cependant, ces règles ne sont pas fixes. Elles sont plutôt manipulées par les administrations des entreprises en fonction des besoins et des objectifs économiques, dont le but premier est le profit. Certaines compagnies aériennes, telles que les compagnies égyptiennes, permettent aux hôtesses de porter le voile. En revanche, certains hôtels stipulent que les femmes voilées peuvent pourvoir juste des postes administratifs limitant ainsi leurs opportunités d'emploi. En fait, les femmes voilées ne sont pas autorisées à travailler dans les départements nécessitant un contact direct avec les clients de l'hôtel, vu que le port du voile transgresse les normes vestimentaires imposées aux employées de ces départements.
L’apparence personnelle et l’autonomie physique sont des libertés exercées en fonction de considérations et de préférences personnelles. Lorsque les individus perdent cette capacité de choix, ils perdent leur autonomie. Ce contrôle exercé par le capitalisme s’étend également à la vie personnelle des femmes, leur imposant des régimes alimentaires, des tenues vestimentaires et un look bien défini. Cette situation crée évidemment des pressions et expose les femmes à diverses formes de violence, notamment dans les sociétés patriarcales. C'est d’ailleurs le cas dans la plupart des sociétés arabes, où la responsabilité du harcèlement sexuel et de la violence contre les femmes est souvent attribuée à leurs vêtements et à leur non-conformité à la "culture de la société". Cette réalité accroît la probabilité de harcèlement des employées qui respectent les codes vestimentaires imposés par les entreprises qui les recrutent, car leurs tenues sont perçues comme "provocantes". Au lieu de tenir les entreprises responsables des tenues vestimentaires et des règlementations inappropriées imposées aux employées, ces sociétés ont tendance à rejeter la responsabilité et le blâme sur les femmes elles-mêmes.
Ce système révèle, par son aspect exploitant, la complicité de la société patriarcale qui tient les femmes responsables de la violence et du harcèlement sexuel qu'elles subissent. Il utilise de fausses justifications, telles que le fait qu'une femme a été harcelée en raison de sa voix forte, de sa sortie nocturne, ou même de sa tenue vestimentaire, afin de détourner le blâme du véritable coupable, à savoir le système patriarcal. Certains hommes tirent profit de cette situation pour justifier leur contrôle et imposer leur domination sur les femmes et leurs choix de vie. Ils ont recours alors à la force systématique de l'autorité patriarcale pour soumettre les femmes sous prétexte de les protéger. Ainsi, le harcèlement des femmes sur le lieu de travail, où un code vestimentaire spécifique leur est imposé, est toléré car ces femmes sortent du contexte dessiné pour elle par l'autorité patriarcale.
Comme toutes les structures capitalistes, ces entreprises visent à réaliser des profits, même si cela implique de transformer le corps des femmes en marchandise. Les femmes concernées sont alors soumises à la stéréotypisation, à la discrimination et à la violence sur le marché du travail. Il en résulte qu’elles seront privées de leurs droits, et considérées comme une main-d'œuvre facile à exploiter et à commercialiser. Ces facteurs justifient ainsi la discrimination salariale, le manque d'opportunités de promotion, et la légitimation de l'exposition à la violence, au harcèlement et à l'exploitation sexuelle.
Dans une société patriarcale, les femmes sont considérées comme de simples outils utilisés par les bénéficiaires du système pour affirmer leur autorité et satisfaire leur masculinité en leur imposant des restrictions et en les décrivant comme des êtres plus faibles. Cette image est renforcée par la stéréotypisation des rôles et des caractéristiques personnelles des femmes. C'est cette même société patriarcale qui reste silencieuse face à la marchandisation du corps des femmes pour augmenter ses ventes.
Le démantèlement des cadres culturels et sociaux qui contrôlent le corps des femmes est un premier pas pour confronter le cycle de stéréotypage, d'objectification et d'exploitation. Il est crucial de dénoncer la marchandisation du corps des femmes et la mise en place de conditions discriminatoires sur le lieu de travail qui limitent leur autonomie. Mais la lutte pour un environnement de travail inclusif et équitable va au-delà du discours sur la liberté personnelle. Il faudrait, dans ce cas, prendre conscience des systèmes capitalistes, patriarcaux et autoritaires enracinés dans les détails de notre vie personnelle, où la collaboration et la solidarité transforment chaque aspect personnel en une question publique, exploitant, vidant et asséchant alors tout ce qui est d’ordre privé.
La justice de genre est un combat existentiel qui défie la structure même des systèmes basés sur l'exploitation. C'est un combat visant à ébranler les fondements des systèmes qui objectifient le corps des femmes.
(1) Six entrevues avec des hôtesses de l’air et des employées dans des compagnies aériennes et des agences de tourisme.
Mona Ezzat est consultante en autonomisation économique et sociale, ainsi que spécialiste en matière de genre auprès de plusieurs organisations internationales. Elle a écrit de nombreux articles et effectué de nombreuses recherches, tous publiés aux niveaux National et Arabe.
Cet article a été révisé et affiné par Assil Fares pour approfondir son analyse féministe.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
Le Bureau Genre et Féminisme
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