L’amour radical n’attend pas la justice, il la fait.
Laila Soueif meurt de faim.
Non pas de façon métaphorique, ni symbolique ; elle meurt de faim littéralement.
En grève de la faim depuis 245 jours, son corps s’affaiblit, sa voix s’éteint, ses mouvements se ralentissent.
Sa demande est simple : que l’État respecte ses propres lois. Que son fils Alaa Abdel Fattah, écrivain, blogueur et prisonnier politique soit libéré. Alaa a fini de purger sa peine de prison de cinq ans, le 29 septembre 2024. Il aurait dû être libre dès lors. Il reste prisonnier des geôles égyptiennes.
L’acte de Laila n’est pas seulement celui d’une mère désespérée – c’est un acte émancipatoire. Comme Angela Davis le souligne, « les prisons n’effacent pas les maux sociaux, mais effacent les êtres humains ». Cependant, il existe toujours quelqu’un quelque part pour porter le fardeau de cet effacement, de cette disparition.
La prison ne se limite pas à ses quatre murs.
Elle s’étend au-delà, et son poids est porté par des femmes : les mères qui font la queue pendant des heures avant de se faire refouler sans raison ; les femmes qui payent des pots de vin, qui se perdent dans des labyrinthes de paperasse et bureaucratie, suppliant qu’on respecte leur dignité ; les petites filles qui n’apprennent à connaitre leur père qu’à travers des lettres échappées de prison et des entrevues brèves, presque volées.
Le système carcéral ne survit qu’à travers ces femmes – il ne prospère que du fruit de leur labeur, leur deuil et leur endurance.
En Égypte, le nombre de prisonnier.e.s politiques enfouis dans le complexe industriel carcéral est estimé à 60,000 personnes – au moins. L’État ne subvient pas à leurs besoins parce-qu’il n’en a pas besoin – il dépend plutôt du labeur de celles qu’il cherche justement à briser.
Ce sont les femmes qui trouvent l’argent pour les frais de défense, qui livrent la nourriture tout en sachant que leurs enfants n’y goûteront peut-être pas, et qui documentent les disparitions que les autorités continuent de nier.
La prison n’a pas besoin d’enfermer les femmes pour en faire des prisonnières. Il lui suffit de détenir leurs fils, leur mari, leurs frères.
Laila Soueif connait intimement bien cette réalité. Bien qu’elle n’ait jamais été emprisonnée elle-même, son mari, ses amis et deux de ses enfants l’ont été. Pas une décennie n’est passée sans qu’elle n’ait vécu la détention arbitraire d’un être qui lui est cher.
Toutes ces décennies elle a joué le rôle qui lui avait été assignée ; celui de mère dévouée, de femme loyale et d’organisatrice infatigable.
Laila refuse de continuer à jouer ce rôle aujourd’hui. Elle refuse de continuer à nourrir le système du fruit de son labeur. A la place, elle l’affame.
Les grèves de la faim ont toujours été une arme aux mains des peuples opprimés, une arme de dernier recours quand tout autre forme de résistance leur a été retirée. Les Anglais ont préféré voir les Irlandais décrépir et mourir dans leurs prisons plutôt que de reconnaitre leur humanité. En Palestine, les grèves de la faim sont utilisées par les prisonnier.e.s auxquels on n’a toujours pas assigné de date de comparution devant un juge, qui sont dépourvus de tous leurs droits et qui n’ont aucune garantie de pouvoir être un jour libérés. A Guantanamo, Megiddo et Abou Ghraib, le gavage n’a pas été utilisé comme un moyen de garder les prisonniers en vie, mais comme moyen de leur retirer toute forme d’autonomie et d’agentivité.
La faim n’est pas simplement la faim. La privation, dans ce cas, n’est pas passive.
Elle est un moyen de refuser de participer à sa propre oppression. Elle représente la transformation du corps en un terrain de guerre. Le corps de Laila Soueif est désormais le lieu où elle mène son combat.
Son corps, celui-là même dont l’Etat espère la survie, retourne cette attente contre lui. Elle expose ce que l’Etat tente de faire disparaître.
Son combat ne se résume pas à Alaa, Il s’attaque à la logique du système carcéral tout entier.
Que représente ce combat et que dit-il d’un régime qui préfère qu’une mère meure de faim plutôt que de libérer son fils ?
La grève de la faim de Laila est menaçante. Parce qu’elle ne demande pas seulement la libération de son fils - elle expose d’un même coup l’injustice du système qui a fait de lui un prisonnier en premier lieu.
Laila n’est pas la première mère à se battre de cette manière. Les mères des disparu.e.s en Argentine ont protesté à la Plaza de Mayo, refusant que leurs enfants soient effacés, oubliés. Les mères palestiniennes pour leur part attendent devant les prisons de l’occupation israélienne d’Ofer et Negev pour passer de la nourriture à travers les barreaux, retenir les visages de gardes qui battent leurs fils, tout en chantant des chansons pour passer des messages ou offrir du réconfort.
Ruth Wilson Gilmore le dit, « l’abolition s’axe sur la présence et non l’absence. Elle cherche à construire des institutions qui affirment la vie… le but de l’abolition est de changer la façon par laquelle on interagit les un.e.s avec les autres et avec la planète en priorisant les personnes au profit, le bien-être a la guerre, et la vie à la mort. »
La grève de Laila nous oblige à nous confronter à cette idée, à une industrie entière construite sur l’idée d’une mort lente.
Dans l’essai « Graffiti for Two » publié en 2014 et co-écrit par Alaa et son ami le poète Ahmad Douma pendant leur incarcération à la prison de haute sécurité de Tora II, Alaa écrit « de ma mère j’ai hérité un gâteau de pierre et un amour qui perce les murs de prisons. »
Dans un monde construit autour de la carcéralisation, de l’obsolescence et la mort prématurée, insister sur l’amour, un amour profond, obstiné et militant équivaut à insister sur la vie elle-même.
Durant des décennies de militantisme professionnel et comme professeur d’université, Laila Soueif a aimé et été aimé par des centaines de jeunes. Sa pédagogie révolutionnaire se fonde sur l’amour radical.
L’amour radical ne négocie pas. Il ne mendie pas. Il ne demande pas combien de souffrance est suffisante ? Il connait la réponse : il n’y a jamais assez de souffrance. L’Etat ne libère que ceux et celles qu’il ne peut plus retenir, ne cède que sous la contrainte, et ne se brise que lorsqu’on le brise.
Mais l’amour – le vrai – a toujours su briser.
Le système carcéral survit de par le contrôle des corps mais aussi des liens. Il ne fait pas qu’emprisonner – il isole. Il essaye de transformer l’amour en deuil, les liens en absence, et la présence en souvenir. Il attend que le temps fasse son travail : lasser les familles, rendre les veillées moins fréquentes, transformer les noms en échos. Il agit sur le principe que s’il emprisonne quelqu’un assez longtemps, le monde oubliera que cette personne est née pour être libre.
L’amour radical est celui qui retient les disparus et les ramène au monde. Il est le refus même d’accepter que la prison décide de qui on se souvient et qui on oublie.
Cet amour est un acte de sabotage.
C’est ce qui le rend dangereux.
L’amour qui obéit à la loi n’est pas une menace. L’amour qui accepte les limites de l’État n’est pas une révolution. Mais l’amour qui résiste, celui qui se bat contre la répression, qui dit je ne te laisserai pas l’emporter, qui dit je ne survivrai pas à sa perte, qui dit tu devras me tuer aussi, est un amour qu’aucune prison ne peut contenir.
C’est l’amour qui perce les murs des prisons comme le décrit Alaa.
L’amour de Laila est abolitionniste parce qu’il ne demande pas seulement la libération d’Alaa, mais demande un monde où aucune mère n’aura à se battre de cette manière.
C’est une rupture.
C’est l’amour des esclaves qui brulent les plantations. L’amour des dépossédés qui déchirent leur avis d’expulsion et refusent de partir. L’amour des mères qui portent le nom des condamnés à mort, forçant l’Histoire à les écouter, à ne pas les oublier.
Le système carcéral peut faire disparaitre un prisonnier. Mais que fait-il d’une mère qui refuse de le laisser disparaitre ?
Que fait ce système lorsqu’il est confronté à un amour qu’on ne peut briser, qu’on ne peut effacer, qu’on ne peut subjuguer ?
Il craque.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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