Cet article explore la question souvent négligée de la dépression post-partum (DPP) en Algérie, s'appuyant sur des expériences personnelles, notamment celles de la mère de l'auteur. Il met en lumière la stigmatisation sociale et les défis économiques exacerbés par des politiques sociales et de santé inadéquates auxquels sont confrontées les mères souffrant de DPP, laissant une profonde empreinte tant sur les femmes que sur leurs familles.
La dépression du post-partum (DPP), ou dépression post-natale, est différente du baby blues en termes de durée et d’intensité. Alors que le baby blues est une phase temporaire de tristesse et d'irritabilité qui survient généralement quelques jours après l'accouchement, la dépression post-partum peut survenir deux à huit semaines après l’accouchement et durer jusqu’à un an. « Ce qu’il faut retenir sur la dépression du post-partum, c’est qu’il ne s’agit pas d’un simple sentiment de tristesse », précise la Dr Stuebe. Elle se caractérise souvent par une anxiété intense ainsi que d'autres symptômes graves.
En juin 2022, un atelier intitulé "Femmes et féministes" fut organisé au sein de l’Ecole féministe de la FES par le Journal Féministe Algérien (JFA). Durant cet atelier, plusieurs questions étaient posées : d’où vient notre féminisme ? J’ai répondu qu’il venait de mon vécu et de celui des femmes qui m’entouraient. Notre féminisme émane du « pourquoi » qui tourmente chacune parmi nous. Pourquoi ai-je vécu des violences ? Pourquoi ma voisine était-elle violée par son mari ? Pourquoi ma mère avait-elle éprouvé tant de brutalité au cours de sa vie ?
On m’a également demandé ce qu’était mon projet féministe, et j’ai répondu que c’était de « vulgariser la dépression du post-partum. » Là encore, je me demandais pourquoi. Pourquoi ma mère me détestait-elle ? Pourquoi tout le monde me disais-t-il que j’étais la fille d’une femme folle ? Pourquoi ma mère était-elle admise à un hôpital psychiatrique deux à trois fois par an ? Et surtout, pourquoi pensait-elle que tout le monde la regardait d’une façon bizarre au travail ? Pourquoi avait-elle quitté son poste ? Finalement, pourquoi avait-elle choisi de vivre dans une telle situation précaire ?
Après ma naissance, ma mère, âgée de 23 ans, m’a vue venir au monde prématurée et trop petite pour survivre, selon les médecins. Les deux premiers jours, ma mère s’est donc retrouvée dans une situation difficile. Elle n’arrivait pas à me toucher et ne voulait pas se rapprocher de moi. Angoissée et perdue, ce qui l’attendait une fois sortie de l’hôpital n’allait pas arranger les choses. Rejetée par sa belle-famille ainsi que la sienne, elle s’est retrouvée sans repère ni appui. Ma naissance n’avait pas remédié sa situation : elle espérait avoir un garçon, ou au moins une fille en bonne santé avec un teint clair, comme elle le disait souvent.
Très jeune, j'ai compris qu'elle ne m’avait jamais aimée. Je me suis souvent demandée pourquoi. La seule réponse qu’on me donnait était la suivante : « Elle est malade. Ta mère est folle. » Personne ne comprenait qu’elle souffrait d’une DPP non diagnostiquée et qui évoluait vers la schizophrénie.
Ma mère avait 28 ans quand elle a divorcé. Après le divorce, elle s’est retrouvée seule, sans famille, sans travail, et surtout sans diagnostic. Elle souffrait d’une pathologie qu’elle ne connaissait pas. Sans appui familial, elle décida de faire une formation de secrétaire médicale et décrocha par la suite un poste dans un hôpital publique. Ma mère, qui ne pouvais pas prendre soin d’elle-même, s’est retrouvée dans un secteur où elle serait obligée de prendre soin des autres et de supporter leurs humeurs. En Algérie, le secteur de l’administration publique, ainsi que le secteur du commerce et des services comprend une grande proportion de femmes salariées s’élevant à 89.9%, étant donné que les secteurs de services recrutent principalement des femmes, et surtout les paient mal.
Ma mère touchait 30,000 DZD par mois, ce qui lui permettait de se nourrir et de s’acheter quelques vêtements, sauf qu’elle souffrait d’une DPP non diagnostiquée qui s’est développée en schizophrénie. « Dans la psychose du post-partum, la dépression peut être associée à des idées suicidaires, des comportements violents, des hallucinations ou des comportements étranges. Parfois, la psychose du post-partum se traduit par une envie de faire du mal au bébé » (Le Manuel MSD). À cause de cette nouvelle maladie, le travail est devenu une responsabilité lourde pour elle. Elle s’est donc mise en arrêt maladie de longue durée justifié par ses nombreuses hospitalisations psychiatriques et par les effets secondaires du traitement (faiblesse physique, fatigue, etc.). Elle s'est retrouvée seule dans sa maison avec un SMIC de 17,000 DZD par mois.
La DPP est une maladie dont on parle peu en Algérie, et qui est souvent nommée folie ou démence ou autre. La famille algérienne ne comprend pas que le rejet de l’enfant, la fatigue chronique de la mère, ses angoisses et ses comportements difficiles à comprendre sont liés à une pathologie. Dans les structures médicales, aucun suivi n’est prescrit. On se soucie de la santé du bébé, mais pas de celle de la mère.
Le manque de conscience sociale et l’absence d’une politique de santé publique qui prend en charge le suivi médical psychologique obligatoire et gratuit des mères favorisent la marginalisation et l’abandon de ces femmes qui souffrent d’une maladie que l’entourage refuse de reconnaitre. La DPP ne touche pas uniquement la mère, mais affecte la famille toute entière.
« Le taux d’emploi des femmes en Algérie se situait à 12.9% » déclara l’économiste Mouloud Hedir dans le premier panel des Matinales du Cercle d’Action et de Réflexion pour l’Entreprise (CARE), selon un article publié par le journal El Moujahid le 6 mars 2022. D’ailleurs, 63% des diplômé.e.s en études supérieures sont des femmes, selon l’UNESCO. Cette réalité reflète la bataille que mènent les femmes algériennes pour trouver un emploi. S’il est difficile pour les femmes diplômées de trouver un emploi stable qui leur permet de retrouver une stabilité financière, que dirait-on des femmes atteintes d’une maladie telle que la DPP et qui doivent se battre sur plusieurs fronts chaque jour ?
Les femmes avec qui j’ai échangé sur ce sujet m’ont avoué que, dans leur cas, trouver un nouvel emploi était extrêmement difficile. En absence du soutien de leur famille, d’un.e ami.e ou d’un.e compagn.on.e, elles perdent souvent la force et la capacité de relancer une nouvelle carrière ou retrouver un poste qu’elles occupaient auparavant afin d’atteindre l’indépendances financière. Elles se sentent incapables de gérer la pression et le stress du travail et des collègues. Dans d’autres cas, comme celui de deux femmes que j’ai rencontrées, elles se retrouvèrent seules après avoir divorcé et choisi de prendre la garde de leurs enfants, et étaient ainsi obligées à subvenir à leurs besoins. Elles avaient pu trouver un travail de ménage chez des particuliers qui les payaient 2,000 DZD par domicile, un montant qui ne leur permettait même pas de louer un logement. Elles étaient donc obligées à retourner chez leurs parents qui ne les acceptent pas complètement et qui les considèrent, elles et leurs enfants, comme une charge lourde.
La DPP est une question de santé publique majeure qui nécessite une attention urgente. Si on arrive aujourd’hui à parler de troubles maniaco-dépressifs, de bipolarité, de schizophrénie et d’autres pathologies psychiatriques, il est possible de briser le silence qui entoure la DPP. Les personnes souffrant de troubles psychiatriques bénéficient d’un suivi médical et d’une sécurité sociale, et travaillent dans de divers secteurs. Si elles arrivent à mener une vie plus ou moins gérable, c’est bien grâce aux traitements, à l’accueil, à la facilité de diagnostic et à la vulgarisation des maladies psychologiques et psychiatriques. Il est possible de faciliter l’épanouissement professionnel des nouvelles mamans, avant tout à travers la reconnaissance de la DPP comme une question de santé publique. Il est également primordial de former le personnel médical à détecter les symptômes de la DPP et à orienter les femmes concernées. N’oublions pas l’importance de la sensibilisation des directeur.trice.s des ressources humaines qui jouent un rôle primordial dans la création d’ un environnement conscient et compréhensif pour les nouvelles mamans reprenant leur vie professionnelle .
Investir dans des politiques de santé publique pour la prévention et le traitement de la DPP aurait des retombées économiques positives au niveau de la famille ainsi que la société dans son ensemble. Ceci peut être réalisé à travers l’indépendance financière des mères, ainsi que leur capacité de répondre à leurs propres besoins et ceux de leurs enfants au sein d’un système qui ne garantit pas les droits fondamentaux comme le logement, les services médicaux, l’éducation, parmi d’autres. En favorisant des environnements de travail qui s’adaptent aux circonstances des travailleur.euse.s, les mères ne seraient plus obligées à vivre dans l’oppression et l’instabilité.
En conclusion, la DPP n'est pas uniquement une question de santé mentale, mais aussi une question économique. Les solutions pour lutter contre cette pathologie nécessitent une approche intégrée comprenant le soutien médical, social et économique pour améliorer la qualité de vie des femmes touchées par la DPP et de leurs familles.
Sofia Akeb est une militante féministe algérienne titulaire d'un diplôme national en arts plastiques. Elle se consacre à la sensibilisation à la dépression post-partum en Algérie, cherchant à la faire reconnaître comme un problème de santé publique.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
Le Bureau Genre et Féminisme
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