30.01.2023

Autoritarisme et autonomie corporelle : le cas de l'Iran

En s'intéressant à la révolution iranienne, cet article explore les liens entre autonomie corporelle et autoritarisme selon une perspective féministe.

Les manifestations sans précédent en Iran se poursuivent depuis près de trois mois maintenant, malgré la répression brutale menée par le régime, l'imposition  de la peine de mort contre des prisonniers politiques et un nombre de morts estimé à 458 manifestants, dont 63 mineurs (au moment de la rédaction).

Déclenchés par le meurtre de Mahsa Jina Amini qui a été arrêtée et battue par la tristement célèbre police des mœurs pour ne pas avoir couvert ses cheveux "correctement", brûler des foulards et se couper les cheveux sont devenus des gestes de ralliement dans les manifestations iraniennes. Mais ces gestes ont une symbolique bien plus importante que la simple opposition au Hijab ou à la brutalité de la police des mœurs. Ils symbolisent l'opposition généralisée à un régime oppressif qui a privé les femmes de leur autonomie corporelle et les Iraniens de la liberté de choix sans poursuites. Traversant les régions, les classes, les groupes ethniques et religieux, le mouvement inclusif en Iran exige la liberté pour tous et un changement politique fondamental.

Relier la question de l'autonomie corporelle au changement de régime rend féministes ces manifestations dirigées par des femmes et distingue les manifestations révolutionnaires actuelles des précédentes qui se concentraient sur des « questions uniques » comme l'aide économique ou la réforme électorale. Alors, comment la quête d'autonomie corporelle a-t-elle pu fédérer différents groupes aux préoccupations différentes ? Et de quelle façon cette revendication se rapporte-t-elle à la demande de changement de régime ?

L'autonomie corporelle en tant que demande féministe fondamentale

Posséder son autonomie vis-à-vis son propre corps tient à l'action, au choix, à la dignité et à la liberté. Cet enjeu a été au cœur des mouvements féministes qui, à travers le monde, ont remis en question les raisons de la réglementation et du contrôle sur le corps des femmes par les hommes, l'État et d'autres systèmes oppressifs, et ont exigé la fin de ce contrôle.

Souvent, le terme « autonomie corporelle » est associé aux libertés sexuelles et aux contraceptifs, mais sa portée est en réalité plus étendue. Il englobe le rejet de la violence physique et des abus, le contrôle des déplacements et de l’habillement, et la demande de contrôle global sur sa vie et son avenir de chaque individu par lui-même.

L'autoritarisme et le patriarcat vont de pair

Comprendre la dynamique du pouvoir et éradiquer les déséquilibres de pouvoir est une stratégie féministe essentielle à travers laquelle les militantes visent à atteindre la justice sociale et la justice de genre. Ce n'est qu'en comprenant où se trouve et comment fonctionne le pouvoir qu’un changement peut être atteint. Un transfert et une redistribution du pouvoir se rendent donc essentiel pour des sociétés plus justes et égalitaires.

Les régimes autoritaires instrumentalisent la régulation et le contrôle sur les corps des femmes pour exercer une loi totalitaire. Ils le font en réglementant largement le corps des femmes et/ou en étendant aux hommes un certain niveau de contrôle sur les femmes. Tout en étant opprimés dans les régimes autoritaires eux-mêmes, les hommes ne sont pas pour autant totalement impuissants. Ils sont autorisés à régner sur leurs épouses, leurs sœurs, leurs mères et leurs filles, à décider comment elles s'habillent, où et quand elles peuvent sortir et qui voir ou non. Mona Eltahawy appelle cela « l'alliance de l'État et de la rue », où les hommes opprimés reçoivent un pouvoir minimal pour exercer des pratiques misogynes et patriarcales au sein d'États autoritaires, et sont invités à leur tour à respecter et à obéir au pouvoir de l'État.

En contrôlant qui peut refuser aux femmes la liberté sur leur corps, de leurs mouvements et de leur sexualité, l'autoritarisme est donc intrinsèquement lié au patriarcat. Les données montrent que plus un régime est autoritaire, plus l'écart entre les sexes est grand au sein d'un État. L'indice d'inégalité entre les sexes (GII) et l'indice de démocratie, par exemple, montrent que les pays présentant une forte inégalité entre les hommes et les femmes ont également tendance à se classer très bas sur l'indice de démocratie, et vice versa. De même, les mouvements d'extrême droite anti-démocratiques, tant aux États-Unis qu'en Europe, sont toujours anti-féministes, anti-femmes et homophobes.

Des revendications féministes qui unissent un mouvement

Les manifestantes réclamant l'autonomie corporelle en Iran ont lancé un mouvement transcendant genre, classe, religion et ethnie. Cela parce qu'il est devenu clair pour de nombreux Iraniens et Iraniennes que le déni de la liberté des femmes sur leur corps est au cœur de l'oppression du régime iranien.

En perdant le contrôle du code vestimentaire et de la « moralité des femmes », la république islamique et l'establishment clérical ont été profondément ébranlés. Cela a rendu pertinentes les manifestations pour de nombreux groupes différents qui ont souffert de déséquilibres de pouvoir ainsi que pour ceux qui en ont légèrement profité - comme les jeunes hommes et les garçons. Ils ont réalisé que les miettes de pouvoir que leur donne l'État ne font en aucun cas d'eux des alliés libres et égaux du régime.

Mon corps, mon choix - Femme, Vie, Liberté

L'appel féministe « mon corps, mon choix » et ce qui est devenu le slogan de la révolution iranienne « Femme, Vie, Liberté », avec son origine dans les unités combattantes entièrement féminines du mouvement socialiste kurde (jin jiyan azadi), sont les deux faces d'une même médaille. Il n'y a pas d'autoritarisme sans patriarcat. Et par conséquent, il n'y a pas de liberté sans autonomie corporelle.

Il est vital que les femmes, les hommes et les personnes non binaires de tous horizons et groupes se soutiennent mutuellement dans toute lutte anti-autoritaire/anti-patriarcale. Ce n'est qu'alors qu'ils pourront véritablement remettre en question les systèmes qui les ont privés de leurs droits et libertés fondamentaux.

Lydia Both est directrice du projet régional de la Friedrich-Ebert-Stiftung sur le féminisme politique et le genre dans la région MENA.

Farah Daibes est responsable de programme senior au projet régional de la Friedrich-Ebert-Stiftung sur le féminisme politique et le genre dans la région MENA.

Nous exprimons notre solidarité féministe avec le peuple iranien courageux qui réclame sa liberté et avec les femmes du monde entier qui luttent pour obtenir le contrôle sur leur corps !

Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.

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