Cet article traite des luttes cumulées des femmes autochtones et migrantes en Algérie qui participent au travail informel.
Leïla (pseudonyme), est entraîneuse dans une salle de sport à Alger. Mariée depuis cinq ans, son rêve est d'acheter un appartement décent, car son mari et elle sont tous les deux fatigués de louer des maisons. « Nous avons dépensé notre argent sur les loyers. Nous vivons dans un appartement très modeste à cause de son bas prix, pour économiser un peu afin d'acheter un logement », dit-elle. Pour Leïla, ce rêve est loin de se réaliser étant donné que son poste de travail ne lui permettrait pas de bénéficier des facilités de logement accordées par l'État aux titulaires d'emplois déclarés. Leïla souffre des difficultés du travail informel, puisqu’elle travaille sans contrats et ne bénéficie ni de la sécurité sociale ni des autres avantages dont jouissent les employé(e)s officiel(le)s. Sa situation reflète celle de nombreuses femmes en Algérie, qui se retrouvent obligées de travailler dans des conditions précaires et sans protection juridique.
Le travail informel des femmes a toujours été présent sur le marché du travail en Algérie. Cependant, il a évolué pour atteindre des dimensions préoccupantes depuis le début de la libéralisation de l'économie nationale au début des années 1980. A savoir que le travail non déclaré a plusieurs appellations telles que le travail informel, le travail au noir ou l’économie non structurée. L'Organisation Internationale du Travail a adopté cette dernière appellation, classant ainsi le travail informel dans la catégorie de l'économie non structurée. En effet, la main-d'œuvre non organisée « n'est pas reconnue, enregistrée ou réglementée par la loi sur le travail et la sécurité sociale ».
Le travail informel se trouve principalement dans le secteur privé. Selon les recherches, cette présence est liée « au relâchement des organes de l'État censés appliquer les lois sur le travail » dans une situation où le pourcentage de femmes travaillant dans le secteur officiel ne dépasse pas 17 %, selon le magazine "Les Femmes en Chiffres" publié par l'Institution pour l'Egalité (CIDDEF). Samir Larabi, chercheur en sociologie, a participé à une étude sur l'état du secteur privé en Algérie. Selon lui, ce secteur est une zone hors-la-loi où la législation du travail n’est pas respectée. Par conséquent, les contrats de travail sont absents, les employés ne sont pas déclarés à la sécurité sociale, et il n'y a ni congés de maternité ni autres avantages sociaux. Le travail informel des femmes se concentre principalement dans les secteurs du textile, de l'agroalimentaire, du commerce et des services.
Les femmes ont souvent recours au travail non déclaré en réponse à une situation sociale dans laquelle l'économie formelle ne parvient pas à les inclure et où elles sont soumises à la discrimination de genre d’une part et la discrimination sociale d’autre part lors de leur recherche d'emploi. Cela s'ajoute au déséquilibre des dynamiques de pouvoir lorsque l'autorité répartit inégalement les ressources entre les individus au sein de la même société. En Algérie, les femmes ne disposent pas de pouvoir dans le domaine du travail, ce qui entrave leur développement, surtout dans une économie rentière en développement.
Leïla revient sur ses débuts dans le travail informel : « Ce qui m'a poussée à travailler dans le secteur informel, ce sont les difficultés que j'ai rencontrées depuis l'obtention de mon diplôme pour trouver un emploi correspondant à mes qualifications et à mes compétences. De plus, le salaire ne correspondait pas à l'effort fourni », dit-elle. Leïla s'est tournée vers le travail informel en raison des bas salaires dans les emplois officiels. Malgré son succès en tant qu'entraîneuse, elle souffre de l'absence de protection juridique et d'avantages sociaux, ce qui la rend vulnérable aux licenciements abusifs. « J'ai commencé ma carrière dans le domaine de l'entraînement sportif en 2018, lorsque j'ai été obligée de signer un contrat de travail avec une institution publique en tant qu’employée professionnelle avec un salaire de dix mille dinars algériens, soit environ 40 dollars américains par mois. J'ai travaillé pendant un an, puis je me suis dirigée vers le secteur privé pour travailler de manière informelle avec un salaire mensuel cinq fois supérieur à mon premier salaire. »
Amal (pseudonyme) vit une situation similaire, mais elle porte toute seule le fardeau de la vie. Son mari est au chômage, il la maltraite et dépend d'elle pour subvenir aux besoins du foyer. « Je confectionne et vends des gâteaux depuis des années. Mon mari a refusé que je travaille à l’extérieur ; il m'a seulement permis de travailler depuis la maison, et c'est lui qui s’occupe de la livraison des commandes. Je vis une situation difficile, il me maltraite et dévalorise mon travail », dit-elle. Amal cherche à régulariser sa situation en obtenant une carte d'artisan pour bénéficier de certains privilèges, comme l’obtention de prêts et la sécurité sociale. L'histoire d'Amal reflète les défis multiples auxquels sont confrontées les femmes algériennes, tels que le chômage, les conséquences du travail informel et la discrimination. La violence de son mari et sa tentative de réduire son rôle sont des exemples clairs des obstacles sociaux et culturels qui limitent l'autonomisation des femmes sur le marché du travail. Malgré cela, la volonté d’Amal et sa détermination à améliorer sa situation professionnelle illustrent sa quête d'indépendance financière, marquant un pas vers la justice économique et sociale.
Les migrantes sont confrontées à une situation encore plus précaire, puisque beaucoup d'entre elles travaillent sans permis de séjour. La plupart de ces femmes sont employées dans le secteur des soins, qui consiste à prendre soin des autres, en tant que femmes de ménage, aides, etc.
Ester (pseudonyme), migrante du Congo, travaille comme femme de ménage en Algérie depuis dix ans et touche un salaire modeste qui couvre à peine ses besoins et ceux de ses enfants. Elle rêve d'obtenir un emploi officiel pour assurer une vie stable à ses enfants, mais elle vit dans la peur constante d'être expulsée faute de permis de séjour. J'ai rendu visite à Esther à l'hôpital Mustapha Pacha, où elle avait donné naissance à une fille. Elle explique, « Beaucoup de gens m'ont aidée lors de mon accouchement. Ils m'ont offert des couches, des boîtes de lait et des produits alimentaires. J'ai également bénéficié des soins de santé offerts par l'État. Mais ce qui m’inquiète, c'est que si je sors et que la police découvre que je n’ai pas de permis de séjour, je serai immédiatement expulsée. » Pour Ester, le travail déclaré est un privilège et dans ce contexte, elle dit, « Je travaille comme femme de ménage et je fais d'autres petits travaux pour payer le loyer de ma maison. Je rêve de régulariser ma situation et de travailler de manière officielle afin que mes enfants puissent vivre en sécurité ».
Quant à Stéphanie (pseudonyme), migrante de la Côte d'Ivoire, elle travaille dans un hammam pour femmes dans les hauteurs de Bouzareah, à Alger. Stéphanie souffre des conditions du travail non déclaré, mais elle trouve un certain réconfort dans son emploi actuel par rapport à ses précédents emplois de femme de ménage et de garde d'enfants. « Je travaille en secret dans ce hammam depuis des années. Mes amies et moi sommes bien traitées par la propriétaire. Nous faisons des massages et nous prenons soin des clientes. J'ai travaillé auparavant dans des emplois non déclarés, mais les conditions et les salaires n'étaient pas bons. Je suis bien à l’aise dans ce travail même s'il n'est pas déclaré ; ce qui m'importe, ce sont les pourboires et le salaire dont je prélève une partie pour l'envoyer à ma famille en Côte d'Ivoire. »
Le travail des femmes dans le secteur informel n'est généralement pas suffisamment valorisé. Les femmes qui préparent la kesra (pain traditionnel) à domicile et la vendent dans les cafés contribuent à l'économie nationale, mais elles ne sont pas suffisamment reconnues. Il en va de même pour les femmes qui travaillent comme couturières à domicile ; parfois, elles confectionnent des uniformes pour de grands ateliers, mais on n'entend jamais parler d'elles. Les infirmières qui travaillent à domicile et les agricultrices en sont un autre exemple. Ces femmes contribuent à l'économie nationale. Néanmoins, elles ne sont pas suffisamment reconnues.
Les travailleuses dans l'économie informelle font face à des conditions économiques et sociales précaires, incluant des bas salaires, l'exploitation et le harcèlement sexuel, avec peu de recours pour se défendre. Ces défis n'affectent pas seulement les moyens de subsistance individuels mais ont aussi des implications significatives pour l'économie nationale. Lors d’un entretien, Samir Larabi dit, « Le secteur informel détruit les femmes en raison des pressions liées à la durabilité du travail, aux multiples harcèlements et à leur incapacité à se défendre collectivement. »
Quant aux répercussions juridiques du travail non déclaré des femmes en Algérie, les lois stipulent que le non-respect de la législation est passible de poursuites judiciaires. Larabi estime que, pour ce qui est des mesures pratiques pouvant être prises pour réduire la propagation de ce phénomène et améliorer la situation des femmes en Algérie, « sans l'organisation des travailleurs(ses) en syndicats dans le secteur privé, les femmes continueront à souffrir de la situation chaotique ». Samir Larabi ajoute, « nous avons des législations relativement progressistes à cet égard, mais elles ne sont pas appliquées, et l'État ferme les yeux sur ces pratiques. Le cadre législatif existe, et il ne concerne pas seulement les femmes ».
À la fin, cette situation complexe reflète la réalité du travail sous le système capitaliste, qui renforce les inégalités salariales et les disparités d'opportunités. Les femmes algériennes et les migrantes sont souvent les plus touchées par ce système qui aggrave les écarts relatifs au genre, les exposant ainsi aux discriminations et à l'exploitation sur le marché du travail. Dans ce contexte, il est nécessaire de réévaluer le système économique et social qui contribue à la création de ces écarts. Cette réévaluation passe par la sensibilisation à l'importance de l'égalité des genres et par la promotion du rôle des femmes dans tous les domaines, ainsi que par l'autonomisation des femmes pour accéder aux emplois et aux postes de direction.
Il est également indispensable de fournir une protection juridique aux femmes travaillant dans le secteur informel afin de garantir leurs droits. Les travailleuses dans le secteur informel ont également besoin de législations robustes et de syndicats capables d'exercer une réelle pression sur les employeurs du secteur privé et sur le gouvernement afin d’assurer la transition vers l'économie formelle. Ce passage permettrait alors de réaliser la justice sociale et de construire un avenir plus équitable et inclusif pour toutes les femmes, indépendamment de leurs origines ou de leurs conditions de vie.
Madjeda Zouine est journaliste et militante algérienne qui présente des programmes radio et travaille comme journaliste indépendante avec plusieurs plateformes médiatiques arabes. Elle s'engage également activement dans la défense des droits des femmes.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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