Le modèle de justice amazighe propose une alternative réparatrice aux systèmes pénaux coloniaux imposés en Afrique du Nord. Cette approche traditionnelle repose sur la guérison communautaire, la réconciliation, et la résolution des causes profondes des conflits à travers le système de l’Azref, plutôt que sur la punition et l’enfermement.
Avant la création des Nations unies et l’émergence du militantisme pour les droits humains, nos ancêtres avaient leurs propres manières de rendre justice et de maintenir la cohésion sociale. Pour les communautés amazighes d’Afrique du Nord, la justice ne relevait pas de la punition, mais s’articulait autour de la réparation. Lorsqu’un conflit survenait – qu’il s’agisse d’un vol, d’un différend personnel ou d’une autre transgression – les aîné·es et les membres de la communauté se réunissaient à l’ombre d’un arbre centenaire ou au sein d’une assemblée communale pour délibérer ensemble. Au lieu de condamner la personne en cause à l’isolement, l’objectif était de réparer le tort causé. Le voleur, par exemple, n’était ni exclu ni emprisonné, mais devait restituer ce qu’il ou elle avait pris, indemniser la victime et accomplir des actes de service pour regagner la confiance perdue. Ce mode de résolution assurait une responsabilisation des personnes tout en préservant la cohésion sociale.
Ce modèle se distingue radicalement des systèmes carcéraux actuels en Afrique du Nord, connus pour leur brutalité, leur surpopulation et leur répression systémique. Loin d’être des lieux de réhabilitation, les prisons y sont des instruments de contrôle politique, servant à punir les dissident·es et à soumettre les détenu·es à des conditions inhumaines. De nombreux rapports ont mis en lumière l’ampleur des actes de torture, de privations et d’atteintes aux libertés fondamentales, faisant des prisons des symboles de domination étatique plutôt que de justice. Ce système pénal moderne, fondé sur la punition et l’isolement, échoue non seulement à prévenir la criminalité, mais perpétue également des cycles de violence et de marginalisation.
Une alternative intéressante est la notion amazighe de l’Azref. Ce concept, proche de la notion occidentale de « justice restaurative », insiste davantage sur le rapprochement et le bien-être collectif que sur la punition. Il repose sur des mécanismes de résolution communautaire des conflits pour réparer les torts subis, tant pour la victime que pour la société dans son ensemble. Cette approche permet l’intégration plutôt que l’exclusion des personnes ayant causé un préjudice, et favorise leur responsabilisation. Depuis longtemps, l’Azref prône la justice, la proportionnalité et la cohésion sociale, en opposition au système punitif hérité des régimes coloniaux et postcoloniaux.
Le système carcéral moderne a pris naissance en Afrique du Nord au début du XXe siècle, sous l’effet de la colonisation européenne. La région, alors contrôlée par la France, l’Espagne et l’Italie, a vu l’imposition d’institutions politiques fondées sur la répression plutôt que sur la justice. Le protectorat français, instauré en 1912, a mis en place un véritable État policier au Maroc, dirigé par le résident général Lyautey. Les chefs locaux, appelés qaids, étaient chargés de réprimer toute opposition, souvent en emprisonnant ou en assassinant les personnes critiques envers l’autorité coloniale. Les prisons de cette époque sont devenues tristement célèbres pour leur traitement cruel des prisonnier·es politiques et leurs conditions de détention épouvantables.
De même, la prison de Serkadji, construite en Algérie en 1846, incarne à la fois la tyrannie coloniale et postcoloniale. Conçue pour accueillir 3 000 détenu·es, elle en abritait souvent le double. La torture et la surpopulation y étaient fréquentes. Entre 1954 et 1962, elle a été utilisée pour emprisonner les combattant·es révolutionnaires, devenant un centre emblématique de torture systématique. Nombre de militant·es indépendantistes y ont trouvé la mort dans ses célèbres chambres d’exécution. Après l’indépendance, loin de rompre avec les pratiques coloniales, les gouvernements algériens successifs ont continué à utiliser Serkadji, perpétuant la surpopulation, l’insalubrité, les mauvais traitements et la négation des droits fondamentaux.
En Libye, la dictature de Kadhafi a reproduit les stratégies coloniales italiennes pour étouffer toute opposition dans des prisons comme Gharyan ou Al-Hadba. La violence intrinsèque à ces structures a atteint son paroxysme avec le massacre de la prison d’Abou Salim en 1996, où plus de 1 000 détenu·es ont été tué·es.
S’inscrivant dans cette continuité coloniale, les gouvernements nord-africains ont conservé et étendu ces systèmes carcéraux brutaux après leur indépendance, les utilisant pour faire taire les opposant·es et instaurer la terreur. Au Maroc, par exemple, les prisonnier·es de Tazmamart ont subi des années d’isolement, de malnutrition et de torture, souvent sans procès. En Algérie, des organisations de défense des droits humains dénoncent régulièrement la détention arbitraire d’activistes et de journalistes, soulignant l’instrumentalisation de la prison comme outil politique. Ces structures échouent à traiter les causes profondes de la criminalité – pauvreté, inégalités, manque d’opportunités – et punissent les individus pour les conditions dans lesquelles ils vivent. Cela entraîne des cycles de répression et de violence, affaiblissant la cohésion sociale et la confiance dans les institutions de l’État.
La tradition juridique amazighe, qui remonte à plusieurs siècles, propose une alternative profonde aux systèmes punitifs imposés par les régimes coloniaux et modernes. Fondée sur la solidarité et la justice réparatrice, elle est encore pratiquée par de nombreuses communautés amazighes en Afrique du Nord, notamment au Maroc, en Algérie et en Libye. Au cœur de cette tradition se trouve l’institution de l’Azref, un système ancien de règles orales transmises de génération en génération. Fondé sur la responsabilisation, la médiation et la réparation, l’Azref privilégie la guérison à la punition, avec pour objectif de rétablir l’équilibre au sein de la communauté, plutôt que d’exclure les personnes en tort. Il prend en compte l’historique des parties concernées ainsi que la nature du préjudice causé.
Malgré les tentatives coloniales pour éradiquer ces pratiques, de nombreuses communautés amazighes continuent à recourir à ces mécanismes de justice traditionnels, parfois en parallèle ou à la place des systèmes juridiques étatiques. Cela témoigne de la résilience et de l’efficacité durable de ces pratiques. L’Azref offre des perspectives riches pour les mouvements d’abolition carcérale, en démontrant comment les communautés peuvent traiter les torts et les conflits sans recourir à des solutions punitives.
Par exemple, en cas de conflit foncier ou lié aux ressources, la personne responsable devait souvent indemniser la victime en bétail ou en récoltes, afin de compenser les pertes subies et de restaurer l’équilibre social. Dans les cas de violence, les réparations pouvaient inclure des travaux d’intérêt général ou une médiation menée par les ancien·nes du village pour prévenir les conflits futurs. Le système tenait également compte des circonstances individuelles – comme l’âge ou le degré de responsabilité – assurant un traitement proportionné, notamment pour les mineur·es. Des juristes, appelés Fqih, jouaient un rôle central dans l’interprétation et la mise en œuvre de ces principes, garantissant une justice en accord avec les coutumes et les valeurs locales.
L'Azref met en évidence une croyance profonde selon laquelle la justice devrait réparer les torts et maintenir l’harmonie communautaire, une philosophie encore plus pertinente aujourd’hui. Cette approche s’oppose à la logique des systèmes de prison modernes qui déshumanisent les détenus et effritent leurs connexions au monde extérieur. En mettant l’accent sur la guérison plutôt que sur les représailles, le modèle amazigh promeut l’harmonie communautaire et s’attaque aux causes profondes des conflits. Les chefs de communauté, ou les anciens, président des forums où les revendications peuvent être discutées afin d’assurer que la justice ne soit pas seulement rendue, mais qu’elle soit aussi comprise par toute la communauté. Cette approche réinstaure la confiance dans les institutions, rétablit les relations et prévient les conflits futurs en assurant un sens interpersonnel de responsabilité et de respect mutuel au sein de la communauté. L’Azref se base sur le respect mutuel et l’idée que la justice devrait unir la communauté plutôt que la diviser.
Pour s’attaquer efficacement aux causes profondes de la criminalité — telles que la pauvreté et les inégalités — une approche transformatrice de la justice doit prioriser des solutions communautaires qui traitent les problèmes systémiques à leur source. Cela implique un investissement dans les services sociaux tels que l’éducation, la santé, et la formation professionnelle, afin de soutenir les communautés marginalisées et de promouvoir un développement économique qui crée des opportunités et réduit le sentiment de désespoir. Il est tout aussi crucial de rétablir la confiance à travers des pratiques de justice réparatrice et de sécurité communautaire, qui mettent l’accent sur la collaboration et la responsabilité plutôt que sur la punition. La décentralisation du pouvoir, la transparence, ainsi que l’intégration des valeurs amazighes de liberté et de justice, peuvent favoriser une équité durable, une stabilité réelle et une résilience sociale profonde.
Ces traditions nous rappellent que la justice ne consiste pas à punir, mais à guérir ; qu’elle ne repose pas sur l’isolement, mais sur la connexion. En adoptant ces principes, l’Afrique du Nord pourrait amorcer une transition vers un avenir où les prisons ne seraient plus que des vestiges du passé, et où la justice serait réellement réparatrice.
Zainab Ainouni est une militante passionnée, engagée en faveur de la justice sociale et des droits humains dans la région MENA. Son travail porte sur les droits des peuples autochtones, en particulier les luttes et la résilience des communautés amazighes, ainsi que sur l’intersection entre justice environnementale et égalité de genre. À travers ses recherches, ses écrits et son plaidoyer, elle cherche à amplifier les voix réduites au silence, à remettre en question les injustices systémiques et à contribuer à un changement transformateur.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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