Les sombres couloirs du féminisme chez une travailleuse domestique migrante (TDM)
KAFALA :
Dans un pays où 90 % de travailleurs domestiques sont des femmes, enfermées dans des maisons, ne gardant qu’un souvenir de leur passeport, subissant des abus à répétition, transformées en objets sexuels, traitées comme des esclaves par des personnes sadiques dépourvues d'humanité. Muselées par le système Kafala dans une société patriarcale, les conséquences sont énormes et à long terme.
Le « mythe »:
Le Système patriarcal dont on parle très régulièrement garder la forme originale plus que le sens est complètement changé de ce que je voulais dire en parabole, sans lui donner d’identité propre, sans mettre de noms ni de visages sur ses actions. Par moments, on dirait qu'il n'existe pas, que c'est un mythe.
Le féminisme chez une TDM :
De par ce que j'ai vécu au Liban sous le système Kafala, la nécessité d'être activiste se révélait à moi comme un appel. La gorge et le poing noués, les larmes plein les yeux, avec la seule envie de crier mon mal être.
Je pensais trouver dans le féminisme un appui, un refuge, un pansement définitif à mes blessures. Mais, sans papiers et toujours réduite à ma couleur de peau, à mon travail de ménagère, c'est vraiment très difficile. Tout comme moi, beaucoup de féministes (TDM) broient du noir dans les pays arabes. Elles sont des blessées de guerre. Elles ont des sources intarissables d'inspiration qu’elles tirent de leurs expériences. Mais avant tout, elles doivent passer par cette étape de réappropriation de leur humanité arrachée par les patrons. Cette étape est pour certaines longue et indépassable incurable. Car, même dans le mouvement, il y a toujours des personnes qui tentent de te le rappeler.
La peur :
Le système mis en place au Liban élève les hommes au niveau suprême : que ce soit sur le papier ou dans les faits je parle ici du contrat dans la maison et la rue après le contrat. Donc il faut garder la forme originale. endant la tâche très difficile pour les travailleuses domestiques de s'assumer en tant qu'activistes ou féministes.
La peur est constante même pendant une interview. On te demande « si tu veux montrer ton visage ou non ». Même les médias, les journalistes et d'autres activistes s'attellent à enfoncer le couteau dans la plaie. Pendant une manifestation, ça résonne comme une chanson ; ton risque de déportation et ta condition de sans papiers.
Être noire et activiste au Liban c'est être deux fois activiste car ta cible est là (le système Kafala) qui est aussi ton objectif. Il est là. Tu le côtoies tous les jours. Tu vis ses méfaits dans ta chair. Mais difficile à atteindre, trop protégé par la loi, ancré dans les mentalités et normalisé par la société.
Même tes collègues de combat tirent leur épingle du jeu et ne veulent pas nécessairement que ça s'arrête.Tu as des bâtons dans les roues à tout bout de champ.
Les blessures dans l’activisme :
En cas de malheur arrivé à une sœur, quelle que soit ta colère, tu ne peux pas agir seule, tu as besoin de l'aide des autres mais les autres ne réagissent jamais comme tu le voudrais et laissent passer le temps ; atténuer ta rage, ravaler ton ambition, la situation se calme. Ton envie d'agir baisse et on passe à autre chose.
Quand tu participes à une manifestation et que tu hausse le ton, les risques se doublent et une fois en prison, la mobilisation maigrit et tu te retrouves avec une seule, voire aucune personne pour te rendre visite. La police, entre isolement et interdiction de visite, bastonnade, déportation, ne manque pas d'occasions de te rappeler la grandeur de ta bêtise et l'erreur de ta vie : d'être venue au Liban et d'être féministe.
Hommage :
Mais actuellement, alors que j'écris cet article, je réalise que cette colère ne disparaît pas. Elle est présente et j'ai mal car je n’ai jamais pu montrer à mes sœurs que je les porte dans mon cœur et rendre à toutes les victimes l'hommage qu'elles méritent car elles sont des martyres.
Cri de désespoir :
Il me manque cette force là qu'avait Rosa Parks dans ce bus.
La solidarité d'un cercle de femmes guéries et prêtes à se battre.
Il me manque la main tendue des autres qui pourront me faire sortir une fois que, comme une feuille, je me retrouverai dans un trou.
Il me manque cette organisation là, qui est forte, qui est vraie, qui me comprend, qui me ressemble. Qui comprend le sens de ma colère, qui fera la lumière sur ce qu'ils qualifient chaque jour de suicides. Qui mangera à la même table que moi.
Il me manque des médias qui pourront dire la vérité sur ce que je vis, sur ce que je dis, sur ce que je pense, sur mes souffrances.
Il me manque beaucoup et quand j’y réfléchis pense bien il me manque moi.
Viany De Marceau: Les sombres couloirs du féminisme chez une travailleuse domestique migrante » est un article écrit par Viany De Marceau sous la forme d’un cri d’appel au monde extérieur, à la Kafala et au autres féministes. Je profite de cette occasion très rare pour rendre hommage à toutes mes collègues travailleuses domestiques qui ont payé leurs convictions de leur vie ou de leur liberté.
Âgée de 29 ans, de nationalité Camerounaise, Viany est une travailleuse domestique migrante au Liban sous le système Kafala, depuis plus de 4 ans. Styliste, modéliste, écrivaine et activiste, elle aime écrire pour se libérer, lire pour s’instruire, coudre pour se retrouver et faire le ménage pour survivre.