Cet article explore les implications genrées des programmes d’ajustement structurel (PAS) sans distinction de genre sur l’éducation des filles et des groupes vulnérables au Liban.
La crise, qui a touché plusieurs niveaux au Liban, a considérablement aggravé la pauvreté parmi ses habitants. En 2021, l’ESCWA estimait que 82% des habitants du Liban vivaient dans une pauvreté multidimensionnelle, en particulier à la suite de la décision du gouvernement de supprimer les subventions et les filets de sécurité sociale. De plus, l’appauvrissement a été accentué à cause d’un système de protection sociale dysfonctionnel qui n’a favorisé qu’une petite partie privilégiée de la société.
Parmi les domaines les plus touchés par la crise figure le secteur de l’éducation au Liban. Malgré des défauts institutionnels historiques qui ont affaibli sa performance à l’échelle nationale et mondiale, la crise a encore aggravé la situation. L’accès à l’éducation devient de plus en plus inéquitable, en particulier pour les filles et les groupes vulnérables. En effet, les familles du pays sont obligées de compromettre l’éducation de leurs enfants, en particulier des filles, afin de subvenir à leurs besoins fondamentaux. En conséquence, l’UNICEF a tiré la sonnette d’alarme faisant remarquer que les taux d’abandon scolaire, le travail des enfants, et le mariage des enfants ont augmenté.
Outre les obstacles profondément enracinés liés à la mauvaise gestion des finances publiques et à la mauvaise gouvernance, le Liban a fait face à de nombreux défis genrés dans son système éducatif.
En fait, l’apparition de la pandémie de Covid-19 et le passage à l’enseignement à distance ont particulièrement touché les groupes marginalisés, les empêchant ainsi de fréquenter l’école pendant deux années consécutives. Les filles ont assumé un fardeau disproportionné de travail de soins non rémunéré, encore aggravé par le manque d’accès aux ressources informatiques nécessaires pour l’apprentissage à distance.
Un autre défi de taille est la mobilité limitée des filles, des femmes et des groupes vulnérables, du fait que le transport est devenu un luxe au Liban. Le coût élevé des tarifs de transport a entraîné une augmentation des taux d’abandon scolaire, car les adolescentes ne peuvent plus se rendre à l’école. En outre, les problèmes de sécurité posent des obstacles supplémentaires pour les filles qui font la navette sur de longues distances, en particulier dans les zones reculées et rurales.
Un troisième obstacle genré qui est la présence d’un programme d’études non-genré qui régit l’éducation du niveau primaire au niveau secondaire. Il est préoccupant que les programmes scolaires n’incluent pas l’éducation à la santé sexuelle et reproductrice et les droits qui en découlent.
De plus, à mesure que la crise s’aggrave, les services fournis aux enfants handicapés deviennent de plus en plus inadéquats. En effet, les établissements scolaires ne sont pas équipés pour subvenir à leurs besoins, et les méthodes d’enseignement manquent d’inclusivité. En outre, même la communauté des réfugiés se voit refuser son droit à l’éducation, car les fonds sont à la fois mal alloués et mal gérés.
Pour parvenir à une stabilisation macro-économique, le gouvernement libanais a sollicité l’assistance technique et financière du Fonds Monétaire International (FMI). Cependant, il est évident que les programmes de restructuration qui impliquent souvent des politiques d’austérité sévères, auront un impact négatif sur l’éducation, en particulier dans le contexte fragile du Liban. L’expérience mondiale a bel et bien montré que les femmes et les groupes marginalisés sont ceux qui, en fin de compte, portent le fardeau de ces mesures d’austérité.
L’adoption de programmes de restructuration exclusifs et non genrés, sans assurer un financement suffisant pour les garanties sociales telles que l’éducation, entraine des implications genrées négatives pour les filles et d’autres groupes vulnérables.
Dans le contexte de la culture patriarcale qui prévaut au Liban, les familles tendent à donner la priorité à l’éducation de leurs fils aux dépens de leurs filles, en particulier en l’absence de soutien gouvernemental et des ressources financières personnelles limitées. L’absence des filles dans les écoles augmente la prévalence de la violence genrée, et il est probable que nous verrons une augmentation des cas de mariage d’enfants. De plus, si des mesures d’austérité sont appliquées dans le secteur de l’éducation, il y a une très forte probabilité de voir une nouvelle migration massive d’enseignant(e)s, qui sont majoritairement des femmes au Liban. Cela créera non seulement une insécurité d’emploi pour les enseignantes, mais aura également un impact négatif sur l’ensemble du secteur. Enfin, la fusion des écoles publiques peut être considérée comme une mesure de réduction des coûts pour mieux gérer des coûts fonctionnels gonflés. Cependant, la fusion d’écoles réservées aux garçons d’une part et les écoles réservées aux filles d’autre part, peut entrainer une nouvelle vague d’abandons scolaires chez les filles. En effet, de nombreuses familles pourraient interrompre l’éducation de leurs filles en raison de normes culturelles et religieuses qui s’opposent à l’inscription des filles dans des écoles mixtes.
Partant des expériences régionales en Tunisie, en Jordanie et en Egypte, il est clair que les programmes du FMI tendent à avoir un impact négatif sur les filles et les groupes vulnérables. Cela est principalement dû à leur concentration sur la réduction des dépenses publiques dans les secteurs sociaux essentiels. Cependant, en l’absence de toute décision politique de la part du gouvernement pour lutter contre la pauvreté, un programme du FMI pourrait éventuellement recommander des planchers minimaux de dépenses sociales. Cela contribuerait à prévenir la détérioration du secteur de l’éducation au Liban et à garantir un accès équitable à l’éducation pour les groupes marginalisés.
La prise en compte des garanties sociales est essentielle pour éviter que les communautés vulnérables ne soient abandonnées par les politiques d’austérité. Tout plan de relance qui ne donne pas la priorité à la restructuration du secteur de l’éducation, tout en garantissant un financement adéquat et en améliorant les cadres de transparence et de responsabilité, ne réussira pas.
De plus, tout plan de restructuration financière qui néglige les besoins des groupes les plus marginalisés de la société échouera également à assurer la sécurité humaine et la justice sociale. Il a été observé que la mobilité sociale des femmes est étroitement liée à leur niveau d’éducation, car les femmes ne peuvent réaliser leur potentiel socio-économique que par l’apprentissage. L’éducation demeure un droit humain fondamental qui garantit un développement durable à long terme.
Sarah Al Bouery est assistante de recherche à l’Institut Asfari pour la Société Civile et la Citoyenneté à l’Université Américaine de Beyrouth. Elle est titulaire d’une Maitrise en Administration Publique et ses recherches portent principalement sur les politiques féministes.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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