Le féminisme est fortement lié à la justice économique, car tous les deux s’opposent à la discrimination, l'exploitation et la marginalisation. La justice économique ne peut être atteinte dans une société dominée par le patriarcat et dans laquelle diverses restrictions politiques, économiques, sociales et culturelles sont imposées aux femmes.
Dans cet article, nous nous concentrerons sur l'intersection entre le féminisme et la justice économique dans le milieu du travail. Plus les taux de chômage, de marginalisation et d’exclusion du marché du travail sont élevés, plus les chances de parvenir à la justice sociale diminuent. La société, ainsi, serait menacée par une augmentation du taux de pauvreté. Parce que le monde arabe est dominé par une culture patriarcale qui limite l'accès des femmes à de nombreux services, les femmes sont plus vulnérables à la pauvreté, de sorte que ce phénomène en est venu à être appelé « la féminisation de la pauvreté ».
Nous utiliserons ici le féminisme comme outil d'analyse et discuterons de l'impact de cette relation inégale et ses conséquences (c’est-à-dire la discrimination et la violence sexiste) et de la manière dont le féminisme contribue à la réalisation de la justice économique.
L'économie féministe mesure le temps et les efforts que les femmes consacrent à la maison et calcule la valeur de ce temps dans le produit intérieur brut (PIB). Dans les pays arabes, les femmes effectuent des travaux de soins non rémunérés 4,7 fois plus que les hommes, ce qui est le pourcentage le plus élevé au monde, selon ONU Femmes. Les sociétés patriarcales et capitalistes négligent que sans le travail de soin des femmes, l'économie ne peut pas avancer. Elles considèrent le travail de soin comme marginal et non rentable, ne requérant pas de compétences ou d'aptitudes mentales spécifiques, mais plutôt des qualités générales telles que la gentillesse, la tendresse et la patience. Ce sont les hommes qui effectuent le travail rémunéré, ce qui leur donne des privilèges et du pouvoir sur les femmes. Cela établit une relation de dépendance dans laquelle ils sont les décideurs.
L'économie féministe révèle l'exploitation et la stéréotypisation dont les femmes font l’objet sur un marché du travail façonné par le pouvoir patriarcal et les politiques économiques capitalistes. Le rôle productif des femmes dans un tel contexte est limité aux tâches de soins (éducation, soins infirmiers, travail domestique et vente de nourriture), et elles sont exclues de certaines professions sous prétexte de leurs responsabilités ménagères ou de leur incapacité physique ou psychologique. Ainsi, les femmes sont entre le marteau du patriarcat et l’enclume de l'exploitation et des abus du marché du travail.
En 1999, l'Organisation internationale du travail (OIT) a placé le concept du « travail décent » au centre de ses politiques et objectifs constitutionnels. Le travail décent résume les aspirations des êtres humains au travail, et leurs espoirs d'opportunités, de droits, de stabilité familiale, de développement personnel, de justice, d'égalité des genres, et la liberté pour les individus d’exprimer leurs revendications. L'OIT s'efforce de combler les écarts et les lacunes en mettant en œuvre des programmes de travail décent innovants, basés sur quatre fondements : la création d'emplois, le développement d’institutions, de mécanismes de protection sociale et de normes, les droits au travail et le dialogue social. Ces programmes dépendent de la Déclaration de l'OIT sur la justice sociale, pour une mondialisation juste qui reconsidère les politiques économiques et financières, et garde à l'esprit l'objectif principal qui est la promotion de la justice sociale.
Cependant, l'écart entre la position des femmes sur le marché du travail et les normes de travail décent ne cesse de s’approfondir, étant donné que les taux de chômage des femmes sont plus élevés que ceux des hommes et que les femmes font l'objet de discriminations lors de leur entrée sur le marché du travail, ce qui les empêchent d'occuper des emplois qui conviennent à leur qualifications pour la seule et unique raison qu'elles sont des femmes. En outre, les hommes dominent tous les postes de décision dans tous les secteurs, et l'écart de salaire et d'avancement professionnel restent en leur faveur. De plus, les femmes sont subjuguées à la violence et au harcèlement au travail, vu l’absence des politiques efficaces de protection si l'agresseur dispose d'une autorité professionnelle. Tout cela laisse chez les survivantes de la violence des dommages physiques et psychologiques qui affectent leur capacité de production, les obligent à s'absenter et à diminuer leur présence au travail et peuvent parfois les conduire à démissionner et à quitter complètement le marché du travail.
Les femmes ont tendance à s'engager dans le travail informel dans les zones rurales et pauvres, où le taux d'analphabétisme est élevé et où le mariage leur est imposé avant l’âge adulte. Les femmes acceptent ce type d’emplois parce qu'il leur permet de travailler de la maison et d'accumuler un capital par de nombreuses méthodes, y compris l’emprunt. Cependant, les femmes font face à de nombreux obstacles dans ce domaine : les difficultés de remboursements des prêts à cause de la similitude et de la répétition des activités des projets, des faibles opportunités de commercialisation et un manque d'accès aux organismes de formation.
Il ressort clairement de ce qui précède que le travail des femmes, sans aucun changement de la répartition inéquitable des rôles traditionnels des genres, que ce soit au sein de la famille ou au travail, contribue à l'amélioration des revenus familiaux - ce qui se traduit par une augmentation du pouvoir d'achat et de la qualité de vie et améliore ainsi les indicateurs de développement et l'économie locale - mais ne donne pas aux femmes le droit de prendre des décisions économiques à l'intérieur et à l'extérieur de la famille.
Les féministes se rendent compte que le chemin n'est pas facile. La culture patriarcale est imprégnée dans les structures institutionnelles et les responsables de ces institutions font partie d'une société patriarcale. Ils traitent les femmes non pas comme des collègues, qui ont de l'expérience, des qualifications éducatives et une capacité à accomplir les mêmes tâches que les hommes, mais plutôt selon leur vision des femmes et de leur rôle. Quand les décisionnaires ont une vision traditionnelle de la femme et de son rôle - comme est le cas dans nos sociétés arabes - le lieu de travail se transforme en espace de contrôle et de domination masculine, justifiant des pratiques discriminatoires à l'égard des femmes sous prétexte du droit des hommes à un salaire plus élevé parce qu'ils seraient responsables du soutien économique de leurs familles, même quand ce n'est pas le cas. Il est également courant de prétendre que les hommes sont plus adaptés aux postes de direction parce qu'ils sont plutôt raisonnables, contrairement aux femmes qui sont émotives, et parce que ces postes nécessitent des heures de travail plus longues, ce qui ne convient pas aux femmes, qui devraient rentrer chez elles pour leur travail domestique.
Pourtant, chaque jour, l'espace dont s'emparent les féministes arabes s'élargit pour démanteler ce discours patriarcal, ouvrir un débat de société sur le travail du soin et redistribuer équitablement les rôles. De nombreuses organisations féministes misent sur leur travail auprès des syndicalistes, afin de leur permettre de s'exprimer et de lutter pour leurs causes, que ce soit au sein des organisations syndicales ou au sein de la société en général, en plus de les motiver à s'engager dans le travail syndical et à accéder à des postes de direction. Cette interaction et cette communication directe entre les organisations de femmes et les syndicats ont contribué pour ces derniers à une vision claire de la nécessité de parvenir à la justice de genre, qui non seulement améliore les conditions des femmes, mais est une condition préalable au développement durable et à la justice sociale.
La communauté internationale s'emploie actuellement à réaliser le Programme de développement durable à l'horizon 2030, qui compte parmi ses objectifs les plus importants la réalisation de l'égalité des genres. Les organismes internationaux concernés par les questions de travail et les stratégies nationales liées aux objectifs de développement considèrent l'égalité des genres comme une question centrale. Par conséquent, la voie est ouverte aux organisations de femmes et aux syndicats pour formuler un programme d'action qui représente le point de départ vers la justice économique et de genre, basé sur les étapes suivantes :
La réalisation de ces revendications nécessite des alliances et des partenariats entre les organisations de femmes et les organisations syndicales, ainsi que l'engagement des gouvernements pour la réalisation des objectifs de développement durable à l’horizon 2030, en particulier l'égalité des genres. Cette alliance syndicale féministe peut faire parvenir des gains qui réduiraient les effets négatifs des politiques néolibérales qui exploitent les femmes et les exposent à diverses formes de violence et de discrimination, en réduisant leurs salaires ou en les limitant au travail du soin, ou en permettant aux employeurs de se soustraire à leurs obligations légales de protéger le rôle reproductif des femmes.
Mona Ezzat est une activiste depuis plus de 20 ans. Elle fait partie du mouvement féministe à travers son travail avec les organisations féministes et les syndicats, en Égypte et dans le monde arabe.
Les opinions exprimées dans cet article ne représentent pas nécessairement les vues de la Fondation Friedrich Ebert.
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