Cet article revisite l'histoire de la Journée de la femme dans le monde et dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et appelle à la re-politisation de la Journée internationale des femmes.
La célébration de la Journée internationale des femmes revient aux mouvements socialistes du début du XXe siècle en Europe et en Amérique du Nord. Alors que l’objectif principal de ses fondatrices était d’atteindre le suffrage universel, elles aspiraient également à réaliser des changements sociaux plus radicaux comme l’abolition de l’esclavage salarié des travailleuses et travailleurs et de l’esclavage domestique des femmes.
En 1909, le Parti socialiste américain annonça la célébration de la première Journée nationale des femmes aux Etats-Unis le 28 février, entraînant de grandes manifestations et réunions à travers le pays.
Bientôt, en 1910, durant la Conférence internationale des femmes travailleuses à Copenhague, la dirigeante du « Bureau des femmes » du Parti social-démocrate allemand Clara Zetkin présenta l’idée d’organiser une Journée internationale des femmes. La conférence aboutit à une décision unanime sur la célébration annuelle et mondiale de la Journée des femmes travailleuses comme forme de pression pour satisfaire les revendications des femmes.
La Journée internationale des femmes fut célébrée pour la première fois en Autriche, au Danemark, en Allemagne ainsi qu’en Suisse le 19 mars 1911. Plus d’un million de femmes et d’hommes participèrent à des réunions et des manifestations appelant au droit des femmes à l’éducation, au travail, au vote et à l’accès à la fonction publique. Plus tard en 1911, la date de célébration de la Journée internationale des femmes fut changée au 8 mars par les femmes travailleuses aux Etats-Unis, en Suisse, au Danemark et en Autriche. Plusieurs pays européens furent de même ultérieurement.
La célébration de la Journée internationale des femmes le 8 mars devint une pratique mondiale depuis sa quatrième célébration en 1914. Le symbole de cette journée fut l’image d’une femme habillée en noir et agitant un drapeau rouge, sous laquelle fut écrit « Pour le suffrage féminin – La Journée des femmes / le 8 mars 1914 ». La quatrième Journée internationale des femmes se transforma en une action de masse contre la Première Guerre mondiale qui se déclencha trois mois plus tard. Selon les socialistes (et sociaux-démocrates), la guerre était un conflit entre empires plutôt qu’une guerre pour l’égalité et la justice.
La lutte pour la libération des femmes et pour les droits démocratiques eut lieu dans le contexte des luttes contre la colonisation et pour la libération au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les mouvements féminins arabes étaient ancrés dans les luttes existantes contre l’impérialisme avant que les droits spécifiques aux femmes ne deviennent des causes politiques en eux-mêmes.
L’Egypte présente un exemple pertinent à ce sujet. Huda al-Sharawi, une des militantes qui fondèrent l’Union féministe égyptienne en mars 1923, se fut tirer dessus quatre ans auparavant par des soldats britanniques lors d’une manifestation contre l’occupation coloniale avec 300 autres femmes camarades. Le 16 mars, date de cette manifestation, est commémoré en Egypte comme sa propre Journée nationale des femmes. Aux alentours de la même date en 1956, les femmes égyptiennes obtiennent le droit au vote et à la candidature pour des postes publics suite à l’indépendance de l’Egypte du régime britannique.
La participation des femmes à ces mouvements nationaux de libération contribua à légitimiser les revendications des femmes au sein de leurs sociétés. Cependant, ce ne fut pas le cas dans plusieurs pays de la région, comme en Algérie par exemple, où leurs revendications ne furent pas satisfaites après l’indépendance. Une fois l’indépendance obtenue en 1962, le gouvernement conservateur en fonction négligera la plupart des revendications des femmes et établira un code discriminatoire de la famille, malgré le rôle notable des femmes algériennes dans la lutte contre le colonialisme français. Le 8 mars 1965, les femmes algériennes reprennent la rue pour commémorer la Journée internationale des femmes et lutter contre l’oppression culturelle, l’exploitation économique et l’exclusion sociale.
La Tunisie, contrairement aux autres pays de la région, prit les revendications des femmes en considération lors de la rédaction de la loi sur le statut personnel durant la même année suivant son indépendance. Les Tunisiennes et Tunisiens commémorent la Journée nationale de la femme tunisienne le 13 août, date d’adoption du Code du Statut Personnel tunisien en 1956. Le Code abolit la polygamie, mis en place une procédure judiciaire pour le divorce, et imposa le consentement mutuel des deux parties comme condition sine qua non du mariage.
En 1975, l’Assemblée générale des Nations Unies célébra la Journée internationale des femmes pour la première fois le 8 mars et désigna l’année 1975 l’Année internationale des femmes. Dans le cadre des activités relatives à l’Année internationale des femmes, le Parti démocrate libanais organisa une réunion qui rassembla des représentants de tous les partis politiques libanais afin d’évoquer les droits des femmes et se mettre d’accord sur les revendications communes. La Guerre civile déclenchée plus tard cette année fit de toute convergence politique entre les gauchistes et les libéraux du pays une affaire impossible. Les questions sociales et relatives aux lois de la famille ont été mises de côté afin de faciliter la formation d’alliances politiques et militaires.
Comme le montrent les exemples ci-dessus, les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord s’engagent à la Journée internationale des femmes et la célèbrent à des degrés différents. Plus de 150 pays la célèbrent actuellement (y compris ceux de la région), mais cette commémoration est largement dépouillée de ses origines radicales.
Durant les 50 dernières années, et sous l’égide des Nations Unies, la Journée internationale des femmes recrute des entreprises parraines et adopte des thèmes non-politisés. Le site web de la Journée internationale des femmes promeut une page de partenariat dédiée aux entreprises qui souhaitent établir une relation « payante » en échange des livrables convenus. 1
La Journée internationale des femmes est également célébrée par les gouvernements patriarcaux et institutions patriarcales qui tirent profit du travail non-payé ou rémunéré de manière injuste des femmes dans le marché du travail comme au foyer. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les gouvernements corrompus organisent souvent des conférences dédiées en apparence aux besoins des femmes de la région en partenariat avec les organisations des Nations Unies. Dans certains cas, les conférences se terminèrent par la distribution de cadeaux ou de fleurs aux participantes, alors que les refugiées, les femmes trans et les travailleuses migrantes sont vastement exclues de la discussion, et que leurs soucis ne sont accordés que peu d’attention.
Par conséquent, les mouvements féministes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord aspirent à une compréhension plus genrée de leurs situations nationales complexes. Plusieurs féministes arabes adoptent aujourd’hui une approche intersectionnelle, reliant leurs expériences quotidiennes à des questions sociales plus grandes d’économie politique, de genre et de race.
Les femmes autour du monde exercent toujours la majorité du travail reproductif épuisant au foyer sans aucune rémunération, et doivent désormais trouver un travail payant et bâtir une carrière indépendante. On dépense de plus en plus sur des slogans creux sur « l’émancipation des femmes » chaque jour, alors que les mères sont refusées les congés payés et les services de garde d'enfants abordables. Un grand nombre de jeunes femmes travailleuses n’ont pas les moyens suffisants pour accéder à l’éducation et à un régime alimentaire sain, même dans les pays riches.
Le capitalisme mondial a réussi à approfondir l’exploitation du temps et du travail des femmes, et les traite comme de nouvelles consommatrices de biens et de services bon marché sans leur offrir aucune « libération économique » réelle. Le capitalisme n’est cependant pas le seul responsable pour les misères des femmes. Il est né au sein d’une réalité profondément patriarcale dans laquelle les femmes avaient perdu leurs privilèges individuels et sociaux avec l’émergence de la civilisation fondée sur l’agriculture et la mise en place du système féodal et de l’héritage des biens.
À la lumière de ce qui précède, plusieurs groupes féministes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord appellent pour la re-politisation de la Journée internationale des femmes, soutenant que les conditions sociales, économiques et politiques des femmes n’ont pas changé de manière fondamentale depuis la déclaration de la Journée internationale des femmes en 1911. Les preuves recueillies des manifestations, campagnes et rapports des féministes arabes durant la dernière décennie corroborent leurs affirmations. Pour cette raison, nous appelons à :
1 Le parrain principal de la Journée internationale des femmes cette année est une entreprise américaine qui fabrique des machines d’agriculture, des équipements lourds, des machines forestières, des moteurs diesel, des systèmes de transmission et des tondeuses à gazon. Fait intéressant, cette entreprise est actuellement poursuivie par l’Union nationale des agriculteurs ainsi que d’autres groupes de plaidoyer pour le droit à la réparation suite à sa transgression du Clean Air Act (CAA) en monopolisant le marché de réparation des équipements et empêchant les agriculteurs de réparer leurs propres équipements.
Samantha Elia est responsable de programme au projet régional de la Friedrich-Ebert-Stiftung sur le féminisme politique et le genre dans la région MENA.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
Le Bureau Genre et Féminisme
+961 1 202491+961 1 338986feminism.mena(at)fes.de
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