En promouvant l’austérité, en réduisant les espaces fiscales, en imposant « l’approche en cascade », et en façonnant les paradigmes de développement, les IFI affaiblissent la protection sociale et exacerbent les inégalités entre les genres.
Malgré l’annonce par le Fonds Monétaire International (FMI) de sa Stratégie d’Intégration du Genre il y a un an, et la Stratégie liée au Genre de la Banque Mondiale 2016-2023 qui a pris fin il y a deux mois, les gouvernements Arabes continuent d’allouer seulement 4.6% de leur PIB à la protection sociale et seulement 3.2% aux soins liés à la santé. Ces chiffres sont nettement inférieurs aux moyennes mondiales (mesquines) de 12.9% et 5.8%, respectivement.
De plus, les dépenses de la région Arabe sur les programmes et les services ciblant les femmes sont scandaleusement minimes, représentant moins de 0.01 % des dépenses sociales globales. Est-ce de l’hypocrisie ou du pinkwashing (procédé mercatique pour améliorer son image en promouvant l’homosexualité)? Les deux institutions financières internationales (IFI) doivent être pleinement conscientes que les femmes sont touchées de manière disproportionnée par les dépenses sociales limitées et le manque de protection et de services sociaux adéquats. En outre, les deux institutions susmentionnées sont depuis longtemps mises en garde contre les conséquences sociales de leurs interventions et conditions.
Lors du déploiement de la Stratégie inaugurale du FMI en matière d’Egalite des Genres en août dernier, Ratna Sahay, la conseillère principale en matière d’égalité des genres au FMI, a mis l’accent sur l’importance de s’attaquer aux écarts entre les genres, en déclarant que « les écarts entre les genres sont grands et ils sont macro critiques ». Elle a également reconnu que bien que la stratégie ait été approuvée par le conseil administratif du Fonds, obtenir des ressources financières suffisantes pour sa mise en œuvre était encore un défi à l’époque. Elle ne se rendait pas compte vraiment que son organisation pouvait faire des progrès considérables dans la promotion d’un développement transformateur en matière de genre dans les pays du Sud sans nécessiter d’importants fonds supplémentaires ou dédiés à cet effet. Ce dont nos pays ont vraiment besoin, c’est d’un changement d’approche du multilatéralisme! Mais qu’est-ce que cela implique exactement ?
Les IFI ont une définition limitée de la protection sociale, se concentrant principalement sur les filets de sécurité sociale qui sont souvent financés et mis en œuvre par la société civile et les organisations internationales. Les exemples comprennent le Programme d’Urgence du Filet de Sécurité Sociale au Liban, le Programme Takaful et Karama en Égypte, le Programme de Soutien Takmeely en Jordanie, et le Programme Amen de filet de Sécurité Sociale en Tunisie, qui reçoivent tous un soutien financier de la Banque Mondiale. Ces initiatives visent à fournir des transferts monétaires à la population démunie, dans le but de l’aider à répondre à ses besoins immédiats. Cependant, elles ont une portée étroite et excluent de nombreuses personnes dans le besoin, car elles utilisent des tests par procuration ou mixtes comme méthode de ciblage de la pauvreté. Cette approche a une marge d’erreur importante et ne parvient pas à inclure à la fois les personnes les plus pauvres et celles de la « classe moyenne manquante ». Dans de nombreux cas, ces programmes considèrent les ménages comme une entité uniforme, sans tenir compte des besoins spécifiques des différents membres du ménage, en particulier les femmes et la communauté LGBTQ+.
Ces interventions offrent une assistance plutôt qu’une véritable sécurité sociale, car elles sont inefficaces, exclusives et non durables. Les montants transférés sont insuffisants et ne permettent pas de restaurer le pouvoir d’achat des populations face à l’augmentation du coût de la vie. De plus, ces interventions sont temporaires, manquent d’intégration, et ne complètent pas un système complet de sécurité sociale universel dirigé par l’état qui englobe la couverture sanitaire et la sécurité du revenu minimal pour toutes les personnes tout au long de leur cycle de vie. Un tel système fournirait une base pour la protection sociale qui prend en compte le travail informel, le travail rémunéré et non rémunéré dans le secteur des soins de la santé, et le travail migrant, qui sont fortement influencés par la dynamique des genres. C’est ce type de système qui peut favoriser des protections sociales tenant compte du genre et promouvoir des initiatives à base du principe de financement solidaire, telles que les pensions sociales, les allocations/assurances maternité, les fonds de soins et les fonds mondiaux de protection sociale.
Les IFI donnent non seulement la priorité aux filets de sécurité sociale par rapport aux systèmes universelles de sécurité sociale, mais imposent également des mesures d’austérité et épuisent les budgets publics sous prétexte d’assainissement budgétaires. En conséquence, elles réduisent l’espace fiscale disponible pour les gouvernements, limitant leur capacité à financer des politiques de sécurité sociale universels et conduisant à une dépendance accrue à l’aide humanitaire et à l’assistance sociale dépendante de l’aide étranger.
Les IFI poussent les pays vers un piège de dettes. À cause des programmes du FMI, des prêts concessionnels et de l’émission de droits de retrait spéciaux (prêts d’urgence à des conditions de faveur accordés à tous les états membres du FMI en temps de crise), des pays tels que l’Égypte, la Tunisie, la Jordanie, le Maroc, le Yémen et le Soudan se retrouvent dans le piège d’un endettement intergénérationnel et insensible au genre. Cette situation se caractérise par des structures d’endettement non durables, l’insolvabilité, les défauts de paiement et la nécessité d’emprunter davantage pour rembourser les anciennes dettes, y compris les taux d’intérêt et les surtaxes. Par conséquent, non seulement les IFI gaspillent des fonds de développement dans des programmes de filets de sécurité réactifs qui manquent de vision, mais elles accumulent également les fardeaux de la dette des pays du Sud à travers ce processus. Les groupes vulnérables, qui sont les plus touchés par les chocs politiques et économiques dans la région, supporte le poids lourd de ce fardeau de la dette.
Comme la capacité limitée des états à restructurer les dettes souveraines accumulées, les mesures d’austérité entravent davantage les dépenses sociales. L’austérité fait partie intégrante des programmes de prêts du FMI, qui obligent les gouvernements à réduire les dépenses publiques, en particulier dans les domaines sociaux, au lieu d’encourager la rationalisation des dépenses. Par exemple, l’Égypte, le deuxième plus grand débiteur du FMI dans le monde avec un ratio dette/PIB de 88.5%, a connu une baisse des dépenses publiques de 11.43% du PIB à un peu moins de 8% depuis la mise en œuvre du programme de prêts du FMI en 2016.
Les politiques budgétaires restrictives compromettent les protections sociales pour les groupes vulnérables, y compris les femmes touchées de manière disproportionnée par les vulnérabilités sociales. De plus, elles ont un impact négatif plus large sur les politiques sociales, telles que le plafonnement des salaires du secteur public, la réduction des subventions pour l’alimentation, l’énergie et les médicaments, et la diminution des services sociaux, même si les pauvres bénéficient le plus de ces services. Actuellement, ce problème touche 85% de la population mondiale. En fait, l’austérité entrave les réformes fiscales nécessaires, car les gouvernements trouvent qu’il est politiquement moins coûteux de réduire les dépenses que d’augmenter les recettes publiques par une fiscalité progressive. En conséquence, les impôts sur le revenu, les impôts sur la fortune (tels que les impôts sur le revenu d’entreprises, les gains en capital, les impôts sur la propriété et l’immobilier), les impôts de Robin Hood et les autres impôts redistributifs font défaut, tandis que les impôts indirects et régressifs (comme les impôts roses) sont abondants. La budgétisation qui prend le genre en compte et la mise en place d’audits sociaux et de genre prennent du recul alors que les gouvernements tentent de compenser l’austérité par une fiscalité faible ou régressive.
Les IFI doivent reconnaître leur grand pouvoir d’influence sur les politiques publiques et les paradigmes de développement des pays. Alors qu’elles prétendent réglementer - et peut-être enfreindre la souveraineté des pays dans le processus - afin de « protéger », elles doivent comprendre que les peuples et les nations ont désormais besoin d’être protégés de leurs réglementations. Leurs interventions s’accompagnent généralement d’un ensemble de conditions qui maintiennent « l’approche en cascade », qui vise à maximiser le financement du développement en privilégiant autant que possible les solutions privées.
Même les services publics essentiels tels que l’énergie, l’eau et les transports sont commercialisés ou privatisés, souvent à travers des partenariats entre les secteurs publics et privés, à la suite de leurs recommandations. Comme les pays Arabes manquent de cadres de responsabilité sociale des entreprises et des mécanismes juridiques nécessaires pour contrôler le rôle du secteur privé dans l’économie, l’impact social de ce modèle devrait être sombre. Par exemple, la Société Financière Internationale (SFI) a investi dans l’économie « des petits boulots » sans s’attaquer aux violations du travail décent associées à ce type detravail à la demande, tels que les contrats sans horaires, les accords avec des travailleurs indépendants, et le manque d’emploi et de sécurité sociale. La SFI néglige largement la perspective de genre dans son approche, malgré l’implication significative des femmes dans l’économie « des petits boulots », en particulier l'économie des plateformes, surtout après la pandémie de COVID-19 et l'essor ultérieur de la digitalisation qui l’a accompagnée.
En se concentrant sur la mobilisation des ressources et la maximisation de la croissance économique et de la création d’emplois, les IFI négligent l’importance de la qualité de la croissance et des emplois, ainsi que celle de la redistribution des ressources. Elles ne reconnaissent pas leur rôle potentiel dans la transformation du financement climatique d’un outil de coopération néolibérale à une opportunité de réduire les inégalités à la fois à l’intérieur des pays et entre les pays et de financer les services publics et sociaux. De plus, les IFI ne tiennent pas compte de leur capacité à exercer une certaine forme de « conditionnalité bénigne », par laquelle elles obligent des gouvernements inefficaces et corrompues à adopter des politiques sociales et économiques rationnelles qui servent l’intérêt public. Ces politiques peuvent inclure le plaidoyer pour l’établissement d’un registre social universel, comme c’est le cas actuellement au Liban, ou faire pression pour des reformes spécifiques de la politique fiscale, monétaire, commerciale ou du travail. L’Égypte fait déjà preuve d’un potentiel considérable à cet égard.
Si les IFI continuent à “agir de la sorte », elles maintiendront alors un système dans lequel les pays du Nord exploitent la main-d’œuvre bon marché et les ressources des pays du Sud, résultant en une perte nette de 14 $ pour chaque dollar d’aide reçue. En conséquence, Les pays du Sud ne tireront aucun avantage réel de l’aide étrangère. À moins que ce statu quo ne change, le pouvoir et le profit prévaudront sur le bien-être des personnes, et les femmes et les groupes les plus vulnérables seront toujours les premières victimes.
Farah Al Shami est Associée Principale et Directrice du Programme de Protection Sociale à l’Initiative de Réforme Arabe (ARI)
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
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