Cet article est un appel à l’action. Un appel à l’amour. Radicalement. Ouvrez votre cœur et pendant que vous lisez, libérez vos sentiments.
En lisant « À Propos d’Amour » de Bell Hooks, je me vois souligner la plupart des phrases, parfois même des paragraphes entiers. Le livre est arrivé à un moment où j’avais besoin de définir mes pensées et mes sentiments concernant le monde pour lequel je souhaite me battre et travailler. L’amour tel qu’il est défini à travers les chapitres du livre est l’acte de résistance le plus puissant. Il représente le chemin par lequel nous nous libérons, ainsi que nos communautés, du capitalisme, de l’impérialisme et de la cupidité.
Vous vous demandez certainement comment. Je vous invite à lire l’article, mais surtout à le ressentir. L’amour relie les sentiments à l’action, il nous lie à chaque être vivant et à chaque entité non vivante. L’amour c’est le lien avec la terre, avec la parenté, avec la nature, avec la communauté, avec l’univers. Politiser l’amour incarne ce que les économies écologiques féministes s’engagent à faire.
Rompre avec les systèmes capitalistes et patriarcaux trop intrusifs et violents est une tâche ardue qui nécessite de comprendre la dynamique qui a permis à ces systèmes de s’imposer comme l’unique et meilleure solution.
L’un des angles par lesquels cela peut s’expliquer est celui des intérêts économiques et du commerce. Le commerce international est ancien et ne commence pas avec l’Organisation Mondiale du Commerce et la mondialisation. C’est une histoire aussi vieille que l’expansion de la vie humaine sur terre. Tout comme la migration. Tout comme le lien avec la terre. Cependant, l’ère violente du colonialisme, soutenue par les intérêts capitalistes, a conduit à une accumulation cupide et inégale des richesses entre les mains de « quelques-uns ». Cela a également permis à la race « blanche » occidentale de s’auto-désigner comme étant la race supérieure ; la race dans laquelle d’autres groupes devraient se transformer pour « évoluer » dans le monde d’aujourd’hui. Mettre le mot « blanc » entre guillemets est intentionnel puisqu’il ne fait pas uniquement référence à la couleur de la peau, mais il doit être lu à travers une perspective intersectionnelle qui élargit suffisamment l’angle de compréhension pour englober les explorations de classe, de genre et d’origine ethnique. Le fait de politiser le concept de « blancheur » est crucial pour renverser les binaires et les étiquettes sur lesquels règnent le capitalisme et le colonialisme.
Le commerce international – malgré les souhaits de l’ordre mondial actuel – est déterminé par la souveraineté des communautés et des échanges. Le commerce devient durable quand il respecte la biodiversité et la nature et lorsqu’il reconnait l’interconnectivité de toutes les choses. Des atomes aux planètes, et de tout ce qui se trouve entre ces éléments. Le commerce international équitable ne peut se faire au détriment de la sécurité alimentaire et de la sécurité écologique.
L’illusion d’être séparé de la nature a trouvé un terrain fertile dans l’ordre économique mondial. Cette séparation violente entre l’économie et la nature, l’un des processus fondamentaux déployés par les structures capitalistes et patriarcales afin de maintenir leur domination, a provoqué la destruction et la dévastation de la vie sur terre.
Dans la mentalité ultra capitaliste qui règne dans le monde d’aujourd’hui, la nourriture que nous achetons dans les supermarchés est considérée comme un objet inné, une simple marchandise. La chaine d’approvisionnement, qui relie le produit à la terre où il a poussé et à l’environnement naturel diversifié qui lui a permis de s’épanouir, est intentionnellement masquée par les grandes entreprises.
Chaque fois que nous mangeons de la nourriture provenant de la nature ou que nous buvons de l’eau, nous devons être témoins de notre interconnectivité en tant qu’êtres vivants avec la terre. Ces actes ne sont pas simplement mécaniques ou réduits à des matières premières à extraire. Ils confirment que le bonheur de la terre est le bonheur du monde naturel et animal, ainsi que le bonheur des humains.
Ce que le monde traverse aujourd’hui (la déforestation massive de la forêt amazonienne par l’homme, la monétisation et la privatisation de l’accès à l’eau, etc.) est une représentation évidente de ce que l’avidité et la domination peuvent faire. Cinq milliards de personnes n’auront pas accès à l’eau potable au cours de la prochaine décennie en raison de la pollution, de l’extraction, de l’exploitation minière et d’autres pratiques d’exploitation. Cette nouvelle est une confirmation suffisante que nous ne sommes pas séparés de notre écosystème.
Face à l’épuisement des ressources naturelles et aux dégâts causés par la poussée du libéralisme à l’extrême, malgré ses impacts dévastateurs sur l’écosystème, il est plus urgent que jamais de cocréer des modèles économiques alternatifs centrés sur la durabilité, la nature et les hommes plutôt que sur les profits. À cette fin, les modèles économiques écologiques féministes sont construits sur les cinq éléments principaux : (1) l’horizontalité des dynamiques de pouvoir, (2) les cultures de soin, (3) le respect de la biodiversité, (4) le respect des limites écologiques et la régénération, et (5) l’intégration des émotions.
Dans chacun de ces éléments constructifs, l’amour peut être reconnu comme un aspect fondamental et inhérent, sans lequel personne ne peut s’épanouir. Ainsi, même au niveau personnel, l’amour peut être perçu à travers une alimentation et une consommation conscientes. Cela peut s’incarner en refusant d’être des consommateurs passifs et de participer à la destruction de la Terre. L’amour peut aussi se développer grâce à la construction d’une communauté et à la création de liens avec d’autres êtres humains, ainsi qu’avec les plantes et les arbres, les mers et la terre. La discipline du soin – une valeur féministe fondamentale – est indispensable pour cultiver le bonheur et l’espoir. L’amour inconditionnel pour la nature est la base de la vie, de sa protection et de sa préservation.
Vandana Shiva, fervente militante écoféministe, a prouvé à travers son travail que la seule façon pour l’humanité de survivre est de récupérer notre lien intrinsèque avec la terre et le sol. Au sein de tout cela, il y a l’amour. L’amour comme pratique. L’amour comme action. L’amour comme communion et communauté. Dans ce royaume de l’amour, les femmes ont un rôle essentiel à jouer car elles représentent la plus grande réserve de soins sur cette planète. Les femmes qui apprécient encore le lien avec la Terre sont porteuses des graines d’un avenir meilleur.
Surtout, politiser le concept de l’amour, ainsi défini, permet aux individus et aux groupes de se recentrer au sein de leurs communautés et de reconnaitre que leurs actions, dans leur caractère quantique et leur simplicité, ont un impact.
Par exemple, en Inde, à la fin des années 90, de nombreuses veuves vivant dans les régions rurales se sont retrouvées confrontées à la responsabilité de subvenir aux besoins de leur famille. Elles ont commencé à utiliser les petites terres autour de leurs huttes pour cultiver les fruits et les légumes. Le mouvement s’est rapidement développé, et d’autres femmes ont commencé à les imiter pour assurer des provisions alimentaires de manière autonome. Pendant la pandémie de COVID-19, ces femmes qui ont fondé Les Jardins de l’Espoir, n’ont pas seulement fourni de la nourriture à leurs villages, mais elles ont également lancé des entreprises de légumes organiques et de distribution de semences. Tout a commencé avec une femme travaillant la terre autour de sa hutte – une action quantique avec un effet domino.
C’est une confirmation flagrante qu’il existe une économie basée sur le travail avec la nature et que le système économique qui nous gouverne actuellement n’est pas de-facto la seule façon d’exister. La devise du modèle écoféministe serait : Justice de Genre = Justice Sociale = Justice Environnementale.
Comme l’a dit un jour le brillant philosophe Rabindranath Tagore, les humains ont appris la démocratie grâce aux forêts, et l’ont utilisé après avoir compris l’importance de la biodiversité en économie. L’ordre mondialisé actuel concentre le pouvoir entre les mains d’un petit nombre d’entreprises, anéantissant les économies locales et laissant la misère partout. Le caractère quantique de la vie est ainsi intentionnellement volé aux humains, alors qu’ils poursuivent des intérêts matériels et éphémères. Il y a un choix à faire qui garantit la protection de notre interconnectivité, de la plus petite à la plus grande entité. Le choix est une question d’amour.
Au cœur des modèles économiques écologiques féministes réside la volonté de remettre en question le pouvoir en place, ancré dans des modes d’existence capitalistes et patriarcaux. Il s’agit d’une voie extrêmement difficile car elle nécessite de révoquer les privilèges, le pouvoir et l’espace de ceux qui dirigent l’ordre mondial actuel. Cela implique également un changement radical des priorités, ainsi que le démantèlement de l’accumulation de richesses et de la dépossession des terres.
Toutefois, la décomposition du système actuel ne suffit pas ; une ou plusieurs alternatives doivent être créées, testées, remises en question et modifiées. L’existence de ces alternatives ne doit pas être définie uniquement comme le côté polarisé d’un système binaire, c’est-à-dire pas uniquement comme un système opposé à l’actuel système impérialiste et capitaliste. En fait, la durabilité du système adverse ne peut être garantie que par la durabilité du système actuel – le revers de la même médaille. Ce qu’il faut, c’est décomposer le système actuel, aussi soigneusement que possible, et cocréer de nouvelles fondations imprégnées d’amour et de coexistence. Cela représente le travail central des principes féministes appliqués aux économies écologiques.
Comme l’écrit Bell Hooks : « Parfois, les gens essaient de vous détruire, précisément parce qu’ils reconnaissent votre pouvoir – non pas parce qu’ils ne le voient pas, mais parce qu’ils le voient et ne veulent pas qu’il existe ».
Hind Hamdan est une féministe, une amoureuse de la solidarité et une passionnée de la mer. Elle est spécialiste du genre et du développement socio-économique avec plus de 12 ans d’expérience professionnelle. Elle est également formatrice qui travaille sur les principes et processus transformationnels.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
Le Bureau Genre et Féminisme
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