Cet article analyse les effets des politiques du FMI sur l’égalité des genres dans son ensemble, en mettant l’accent sur le travail non rémunéré et sous-payé en particulier.
En juillet 2022, le Fonds Monétaire International (FMI) a lancé sa stratégie inaugurale d’intégration des genres, qui comprenait des politiques et des pratiques visant à relever les défis auxquels font face les pays qui prennent du retard sur l’Objectif 5 de Développement Durable, qui met l’accent sur l’égalité des genres. Cependant, le FMI n’a pas reconnu les impacts de ses politiques, ses programmes, et ses prêts conditionnels sur « l’économie des soins » et les services publics. Cette omission est importante car, comme l’ont soutenu de nombreux économistes féministes, syndicalistes et militants de la société civile, l’imposition d’objectifs macro-économiques trop restrictifs pour réduire les dépenses publiques entraine des coûts économiques, politiques, du travail et des droits humains tangibles, les femmes supportant une charge disproportionnée. Les mesures d’austérité, combinées à la détérioration des services publics, exacerbent la dynamique de genre au sein des ménages et des communautés, alourdissant le fardeau sur les femmes en termes de soins non rémunérés.
En prenant le cas de la région MENA, où le FMI a joué un rôle important dans le financement des pays à revenu moyen non exportateurs de pétrole, la situation révèle une évaluation moins que favorable de la contribution du FMI à la promotion de l’égalité des genres à travers ses programmes. En fait, la région affiche le taux de participation des femmes à la main d’œuvre le plus bas au monde, un taux décevant de 25 % selon la Banque Mondiale, soit près de la moitié de la moyenne mondiale. Alors que le FMI appelle à l’inclusion des femmes dans les activités qui génèrent des revenus en Tunisie et en Egypte, il existe un retard bien évident dans la promotion de politiques qui s’attaquent efficacement au manque grave et paralysant d’opportunités de travail décent. Bien que le mandat principal du FMI n’englobe pas la promotion de meilleures conditions de travail dans le secteur privé, le manque de travail décent peut être compris à travers le manque de pression exercée par les gouvernements pour imposer de meilleures conditions de travail dans le secteur privé.
La dynamique liée à l’inégalité des genres dans la région MENA se reflète en partie dans la prévalence de normes sociales discriminatoires. D’une part, ces normes établies mettent à la charge des femmes le lourd fardeau du travail de soins non rémunéré, qui est souvent non reconnu et marginalisé. D’autre part, ces normes contribuent également à la ségrégation professionnelle, où le travail de soins rémunéré devient majoritairement féminin. Parallèlement à un manque systématique d’investissement dans les services publics, une pratique alignée avec l’agenda néolibéral, ces réalités imposées ont exercé une pression croissante sur les femmes à travers le fardeau du travail non rémunéré. De plus, du fait de la dynamique susmentionnée, les femmes sont poussées dans des situations de sous-emploi, de chômage, de conditions de travail précaires et d’emploi informel. Ces facteurs ont un impact significatif sur leur sécurité économique et entravent leur capacité à atteindre l’indépendance financière et à prendre le contrôle de leur propre vie.
Les lacunes importantes pour fournir des conditions de travail décentes au sein du secteur privé, associées à la disponibilité insuffisante de transports publics sûrs et abordables, à la prévalence d’environnements de travail dangereux et à l’accès limité ou inexistant aux systèmes nationaux de garde d’enfants, exacerbent encore plus les situations difficiles auxquelles sont confrontées les femmes. En conséquence, les femmes ont de plus en plus recherché un emploi dans le secteur public, qui, malheureusement, est devenu la cible d’importantes réductions d’effectifs en raison des mesures d’austérité macro-économique et des réductions dans les dépenses publiques prônées par le FMI.
L’incapacité de ces institutions à reconnaitre et à traiter leurs propres actions et les conséquences négatives qu’elles entrainent reflète un manque flagrant de responsabilité, un manque d’autoréflexion et une négligence de l’interdépendance de leurs actions au sein de leur vision du monde. Le processus subtil mais nuisible de capitalisation sur le travail non rémunéré effectivement transforme les femmes en amortisseurs involontaires, puisqu’elles sont censées compenser le désengagement de l’Etat de fournir des services publics en assumant le travail physique qui y est associé. Cela intensifie leur vulnérabilité, représentant une étape régressive pour l’humanité dans son ensemble.
C’est une belle coïncidence que le FMI professe soudainement son engagement envers la cause de l’égalité des genres – malgré un retard de deux décennies – à un moment où la pandémie de COVID-19 a clairement révélé les insuffisances des systèmes de santé dans le monde et a mis la lumière sur les impacts structurels négatifs des politiques néolibérales sur ces systèmes. Le cynisme est l’arme des désabusés.
L'impact du COVID-19 a clairement révélé en quelques mois les conséquences du sous-investissement intentionnel dans les services de santé publics, qui a été poussé par de fervents partisans de l’agenda néolibéral, en particulier les Institutions Financières Internationales (IFI) dirigées par le FMI. Le FMI a toujours plaidé pour la privatisation des services publics, en citant que l’objectif est d’améliorer la productivité, l’efficacité et la qualité de ces derniers. Cependant, cette approche a ignoré la question de l’accès limité à des services de santé de qualité pour une partie importante de la population, à mesure que les prix augmentent et que l’accès devient « élitisé ». Par exemple, dans la région MENA, de nombreuses personnes ont dû compter sur des ONG, des organisations caritatives et des initiatives dites « philanthropiques » pour répondre à leurs besoins en matière de santé. D’autres ont été complètement privées des services professionnels de santé, intensifiant ainsi le fardeau de soins sur les femmes au sein des ménages, car elles se voient souvent confier le rôle essentiel de fournir des soins aux personnes dans le besoin.
Il est intéressant de souligner que selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), environ 70 % des travailleurs dans des secteurs de la santé et des services sociaux dans le monde sont des femmes. Ce fait correspond à la réalité actuelle où le travail non rémunéré dans le secteur des soins est principalement confié aux femmes au sein des ménages et des communautés. Paradoxalement, les mesures de conditionnalité du FMI visant à réduire les dépenses des services publics discriminent directement la main-d’œuvre féminine dans ces secteurs en normalisant des salaires plus bas et en imposant des conditions de travail difficiles. De plus, ces mesures exacerbent le fardeau du travail non rémunéré dans le secteur des soins sur les femmes dans leur vie personnelle, ce qui réduit le temps disponible pour les activités génératrices de revenus. Ceci, à son tour, entrave leur effort de réaliser une indépendance financière et leur laisse moins de temps pour s’engager dans des activités politiques, récréatives et spirituelles qui contribuent à la croissance personnelle et communautaire.
De plus, la pandémie de COVID-19 a exacerbé le malaise généralisé des temps modernes : le manque de temps. Ce concept met l’accent sur le manque de temps pour vraiment « vivre » auquel sont confrontés ceux qui ont la plus lourde charge de travail non rémunéré et parfois même ceux qui ont la responsabilité de subvenir aux besoins de la famille, leur laissant ainsi peu ou pas de temps pour respirer. La majorité des personnes qui y font face sont des femmes. Ce processus est directement influencé par les choix politiques et la dynamique du marché, ainsi que par l’impact généralisé des normes sociales et des stéréotypes genrés qui dictent la division du travail au sein des ménages et des communautés. Il va sans dire que dans presque toutes les sociétés, on attend des femmes qu’elles portent le poids des tâches liées aux soins, qui sont souvent tenues pour acquises sur différents niveaux.
En conclusion, la « nouvelle » stratégie du FMI en matière d’égalité des genres crée un certain espace de discussion sur l’égalité des genres au sein des pays bénéficiaires, bien que cette approche puisse avoir des connotations néocoloniales. En revanche, il semble évident que cette stratégie ne parvient pas à reconnaitre à quel point les opérations fondamentales du FMI ont eu un impact négatif sur le travail de soins non rémunéré, principalement effectué par des femmes, ainsi que sur les professions féminisées. La simple introduction de quelques programmes spécialisées pour fournir une compensation à certaines femmes par le biais de filets de sécurité ciblés n’est pas la voie vers la réalisation de changements compréhensifs, durables et transformateurs au niveau structurel.
Hind Hamdan est une féministe, une avocate de la solidarité, et une amoureuse passionnée de la mer. Avec plus de 12 ans d’expérience professionnelle, elle est spécialisée dans le développement en matière d’égalité des genres et dans le développement socio-économique. De plus, elle est une formatrice qualifiée qui se concentre sur les principes et les processus féministes de transformations.
Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung.
Le Bureau Genre et Féminisme
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